Il est des petits coins parisiens bien secrets, farouchement préservés et souvent placés tout près de lieux très fréquentés qu'on les ignore inconsciemment et involonairement. Il en va ainsi pour le havre de paix, sinon de tranquillité. La cours Damoye fait partie de ceux ci. C'est par ces quelques lignes que je vous emmène avec moi dans ce passage qui sommeille au coeur de Paris, et qui fait la joie de mon emploi du temps du samedi.
Si près de l'ébullition du coeur de Paris et en même temps si loin. Comme une parenthèse inattendue qu'il suffit d’ouvrir pour vivre le temps de parcourir moins de 200 mètres, longs ou rapides selon votre envie, un temps en dehors du temps, celui là même qui justement à cet endroit, comme par un fait étrange, n'a plus tout à fait son emprise habituelle.
Quand la place sort à peine de son sommeil et que la Cour dort encore un peu au point de ne pas laisser fouler son pavé par tout le tout venant, ainsi il n'ouvre ses grilles aux curieux qu'à certaines heures de la journée. Car il convient de préciser que cette ruelle qui porte le nom de son ancien père et propriétaire, M. André Pierre Damoye qui l'a loti en 1778, bénéficie du statut de passage privé. Ensemble architectural du XVIIIème siècle encore préservé de la folie foncière, impeccablement restauré pas tout à fait coupé du reste du monde car résoluement tourné vers la modernité.
Enraciné dans l'emblématique quartier de la Bastille, le passage débute au 12 de la dite place pour finir 124 mètres plus loin au 12 de la rue Daval. Quartier illustre des menuisiers, ébénistes et autres tapissiers,jusqu'à il y a encore quelques décennies, on s'attend presque à croiser le long des immeubles clairs que caresse ici une vigne vierge, là les branche d'une glycine, un gavroche ses outils à l'épaule, ou bien une de ces bouilles qui firent la gueule du "Ventre de Paris". Il suffit de fermer les yeux pour imaginer une scène des Rougon Macquart, ou bien du Père Goriot, dans ce Paris qui mêle petites et grandes destinées, drames et comédies, petites et grandes fortunes, à l'ombre d'une porte en bois et d'une enseigne en fer forgé. Dans un recoin, une petite fontaine que surplombe une niche que seul l'hiver met à découvert sous les branches d'une glycine qui prend ses aises sur le mur au printemps.
La ruelle est couverte de pavés, parfois inégaux mais qui fleurent bon la vie de ces passages qui en ont vu et entendu, subit la foulée hier de l'ouvrier, aujourd'hui celle du touriste, qu'on excuse bien leur inégalité et l'inconfort qu'ils procurent à la promenade.
Non, décidément cette petite parenthèse n'a rien à voir avec le tumulte du reste du quartier de la Roquette mais il fait bon parfois l'ouvrir pour se laisser happer par un autre Paris, celui un peu plus calme, un peu plus secret dans lequel on peut à loisir s'évader, à l'image de ces quelques vers de Paul Verlaine à qui je laisse le soin de clore ce petit billet du week-end.
Paris n'a de bonté que sa légère
Ivresse de désir et de plaisir,
Sans rien de trop que le vague désir
De voir son plaisir égayer son frère.
Paris n'a rien de triste et de cruel
Que le poëte annuel ou chronique,
Crevant d'ennui sous l'oeil d'une clinique
Non loin du vieil ouvrier fraternel.
Vive Paris quand même et son histoire
Et son bagout et sa Fille, naïf
Produit d'un art pervers et primitif,
Et meure son poète expiatoire !
Paul VERLAINE "Paris"