Paris sur un piédestal...

Paris sur un piédestal : "C'est Voltaire qu'on assassine"

img-1696.jpgC'est Voltaire qu'on assassine ! Oui, je sais en principe on ne parle pas du grand philosophe en ces termes et le titre du roman de Gilbert Cesbron qui s'applique à l'origine au génial Mozart,  se trouve ainsi dénaturalisé dans cette introduction. 

J'ai croisé le dit Voltaire dans le minuscule square Honoré Champion que longe la rue de Seine, un jour de grand beau temps, au coeur du très littéraire St Germain des Près. Ce qui m'a intrigué ce n'est pas en soi la présence de l'homme de lettre, mais bien la couverture sanguinolante dont on l'avait affublé par l'entremise de quelques giclures pugnaces de peinture rouge. Et c'est cette néo expression qui m'est spontanément venue à l'esprit : "C'est Voltaire qu'on assassine".....
Mais passons par dessus le délit criminel et regardons d'un peu plus près le bonhomme. Nous devons la figure du père de "Candide" à Léon-Ernest Drivier qui a réalisé plus d'une sculpture dans Paris. Sculpteur des années 30, il laisse dans la capitale un certains nombre d'oeuvres dont je reparlerai plus tard, toutes empreintes d'une certaine douceur et d'une grande sérénité, qui respire de chaque visage, même sur celui de Voltaire qui reste impassible sous les coulées rouge vif. C'est là que nait la magie de l'art : voyez ce visage serein et calme du philosophe qui reste imperturbable, comme si rien ne pouvait l'atteindre, même pas le second degré et l'absurdité de coulées rouge sur cette figure de pierre, qui, par association d'idée suggère le crime.
Je suppute l'amusement d'un étudiant des beaux arts dont l'école n'est situé qu'à quelques pas du piédestal... le Jackson Pollock en herbe n'a pas signé son oeuvre ni expliqué son crime mais il aura en tout cas eu le mérite de bien me faire sourire.

Paris sur un piédestal : "Derrière le temple, l'amiral se tache de sang"...

p6020548.jpgAvant d'arriver au Square du vert galant qui a fait l'objet de l'un de mes derniers billets, j'ai longuement longé la rue de Rivoli, sous ces arcades qui font le bonheur des touristes et par la même occasion celui des tiroirs caisses des boutiques qui empiètent allègrement sur le dallage patiné par les allées et venue des visiteurs tout au long de l'année.
Au niveau de la rue de l'Oratoire, je me suis arrêtée, comme tant d'autres, pour jeter un oeil curieux et un peu rêveur devant le grand groupe statutaire blanc, posé dans le dos du temple. La présence du dit temple ainsi que celle de ces personnages figés pou l'éternité dans la pierre n'est pas là par hasard, mais est directement liée à une page de notre histoire, loin d'être la plus calme, la plus pure, la plus blanche justement, non celle dont il sera question ce soir étant largement entachée de sang, puisqu'il s'agit des épisodes sanglants des guerres de religions qui ont émaillés les règnes successifs des fils de François Ier jusqu'à leur fin, avec celui d'Henri IV. Et plus précisément encore de cette terrible nuit de la St Barthélémy pendant laquelle Paris et notamment ce quartier du Louvre s'est empourpré dans un bain de sang.p6020549.jpg

On ne peut malheureusement occulter cet épisode car le sujet ici représenté y est directement lié puisqu'il s'agit de l’amiral Gaspard II de Coligny, l'un des membres les plus illustres de la maison de Coligny, qui connut une fin tragique lors du massacre du 24 août 1572. L'ensemble sculptural réalisé et édifié en l'honneur de l'amiral est inaugurée le 24 juillet 1889. Oeuvre de Gustave Crauk, elle est accolée au chevet de l'Oratoire du Louvre donc, ancienne église catholique romaine mise à la disposition du culte réformé par Napoléon le 23 février 1811.
Issu de la noblesse française, fis de Gaspard Ier de Coligny, maréchal de France sous François Ier, Gaspard II a la destiné d'un grand homme. Après une enfance provinciale et une p6020544.jpgadolescence à la cour de François Ier, il fait ses premières armes dans les années 1542-1546. Témoin des nombreuses intrigues familiales entre les clans de Guise et Montmorrency qui animent le règne d'Henri II, il poursuit une  brillante carrière de militaire et devient amiral. Il pousse plus tard Catherine de Médicis à adopter une politique de conciliation à l'égard des réformés, refusant la voie de la violence, lui même convertit au protestantisme sous l'influence de sa femme. 

Chef de file dans les différentes guerres de religion, et pendant un tmps éloigné de France enp6020547.jpg étant ambassadeur à Londres il rentre à la cour du roi Charles IX en 1571. Haï par les grandes familles qui entourent le roi (dont il n'est pour autant pas detesté), il fait l'objet d'un attentat le 22 août 1572 lorsqu'un calviniste tire sur lui (le commanditaire de cet acte ne fut d'ailleurs jamais clairement identifié par les historiens). Cet assassinat précède de très peu la nuit de la Saint Barthélémy durant laquelle Coligny, après une longue agonie, fut achevé par un coup de dague.
Mais revenons au groupe blanc qui avec un peu d'imagination pourrait être maculé de part et d'autre de rouge tant il est lié aux bains de sang aussi absurdes que violents de cet épisode. On peut d'ailleurs imaginer que le sculpteur Crauk a voulu marquer justement ce recul face aux évènements passés en conférant à cette statuaire un caractère particulier : celui de la mort p6020543.jpgprovoquée violemment par une simple différence de croyance et de forme du culte religieux, à travers cette blancheur éclatante s'opposant à la noirceur de l'époque et de ses évènements. Où quand l’obscurantisme alors plus qu'en vigueur à cette période, plus qu'obscurcir, fait rougir (au sens propre comme au sens figuré) certaines destinés.

Notre héros du jour se tient debout dans une niche sur le fronton de laquelle figure son identité ainsi que ses dates de vie et de mort. Il porte l'habit que lui doivent son rang et sa naissance, propre à la mode du XVIème siècle. Sa posture témoigne de celle d'un chef de clan, d'un homme d'action comme le rappelle son épée évoquant les faits d'arme dont il a fait preuve, mais aussi son pouvoir et son ambition. 

La statuaire ici représentée reflète parfaitement l'esprit de l'époque à laquelle elle a étép6020550.jpg réalisé, c'est à dire cette fin de XIXème siècle encore bercée par un certain éclectisme mais aussi de romantisme : on tend à commémorer, à comprendre l'importance que prend l’histoire de France dans la société, la résurgence du passé que l'on cherche à appréhender. Le style plastique est typique également : académique et frisant l'allégorie, comme en témoignent ces deux femmes aux pieds de notre bonhomme. Les yeux tournés vers le ciel, elles évoquent bien des choses, des idées, des concepts qui peuvent être formulés par chacun à l'envie : la vie, la mort, la destinée, la religion, la réforme; la croyance.... Chacun peut y voir ce qu'il veut en rapport avec l'histoire de Gaspard de Colligny. Au bas de l'ensemble, plusieurs plaques viennent retranscrire par quelques mots ce que les statues posées juste au dessus d'elles ne peuvent formuler dans le silence que l'artiste leur a conféré.

Ainsi dans le silence de la tragédie sanglante et au delà du temps qui passe inéluctablement, reste écrite noir sur blanc et en suffisamment grand, la mémoire de ceux qui ont voulu faire évoluer les idées et la perception de la liberté de penser et de culte.

Paris sur un piédestal : Sous les ors de l'Opéra, l'architecte "Napoléon III"...

p5190493.jpgSous les ors qu'il a instauré pour célébrer les arts et dont les noms parent désormais le fronton de ce qui reste "son" palais, trône, du côté ouest, celui qui fut une figure majeure de l'ubanisme parisien du XIXème sicèle, j'ai nommé le grand Charles Garnier. L'objet de cet article ne sera pas de faire un historique ou une explication de texte architecturale de l'opéra qui porte depuis son nom ; non, mais je dédie cet entrefilet à celui qui reste discret malgré le talent qu'on lui a, à juste titre, reconnu.
En contournant l'opéra du côté de la rue Scribe et de la rue des Mathurins, on croise sur notre chemin dans l'enceinte du bâtiment un piédestal celui qui fit du haut de la belle avenue de l'Opéra une des plus belles vues de Paris, mettant à l'honneur tant l'architecture que la culture au service des arts musicaux et chorégraphiques.
Je passe souvent devant M. Charles lorsque moi et mon vélo nous décidons de vivre Paris un peu autrement, sur deux roues et les cheveux (presque) aup5190487.jpg vent... Je longe toujours le flanc ouest du bâtiment et salue amicalement l'homme bien inspiré qui nous permet encore aujourd'hui de profiter des fastes de ce qu'il avait lui même qualifié en son temps de "style Napoléon III".

Et je dois dire que je ne suis pas la seule à saluer le monsieur de l'Opéra, oh que non, car bien qu'il se fasse discret, il voit tous les jours bon nombre de touristes s'attrouper et parfois même des cortèges défiler.  
Hissé sur un piédestal monumental, il admire la frénésie de ce quartier animé par l'ébullition permanente des grands magasins si proches. C'est par une souscription publique que l'on a pu faire ériger en 1903 ce petit monument à la gloire et à la reconnaissance de notre homme du jour,  
p5190494.jpgArborant une tignasse bouclée et une fine moustache, la cravate légèrement détachée, cet homme d'une grande intelligence, aux multiples talents nous apparaît ici bien fidèlement à ce qu'il était à l'époque de cet épique entreprise initiée par l'empereur, que représentait ce projet ambitieux mais surtout long et fastidieux. Entamé en 1862 l'opéra n'est achevé qu'en 1874 pour être inauguré le 5 janvier 1875.

Architecte connu, Charles Garnier est également un scientifique reconnu et fait montre d'une plume alerte et prolixe. Ainsi, il publie régulièrement des articles dans la presse artistique. Ses travaux d'écrivain sont officiellement appréciés au point de le faire entrer à l'Académie française en 1874 et à la Société des gens de lettres en 1881.
Outre cette activité intellectuelle intense, notre ami n'en délaisse pas pour autant sa vie sociale qui n'est pas moins riche. On dit de l'architecte qu'il est un homme chaleureux, altruiste, empathique et il compte de nombreux amis. Une ouverture d'esprit et une simplicité qui lui serviront notamment lors de l'inauguration de son chef d'oeuvre, lorsqu'il lui sera demandé de payer sa propre place.....Le menton relevé, prêt à faire face à un nouveau chantier d'envergure, comme il les appréciait. D'ailleurs dans quel chantier pharaonique s'imagine t il déjà oeuvrer ?
Si le piédestal élevant aux nues (enfin presque) M. Garnier est imposant, la p5190490.jpgreprésentation de l'architecte au fort caractère est quelque peu cantonnée à son unique buste. Mais pas n'importe lequel, un buste dorée mettant en valeur l'image d'un homme d'idée, d'innovations, d'ingénuosité, de défis mais aussi d'indépendance d'esprit et c'est bien ce dernier trait de caractère qui me semble transparaître le plus dans cette apparition rutilante sous le soleil parisien, sculpture que nous devons au grand Jean-Baptiste Carpeaux qui découpa dans la pierre ces apparitions toutes plus gracieuses et touchantes les unes que les autres qui font le succès et la beauté de la façade de l'Opéra. 

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L'homme est entouré de deux muses alanguies devant lui pour ses beaux yeux qui restent malgré tout bel et bien figés, totalement indifférents à ces deux apparitions dénudées et ostensiblement détournés de cette sensuelle raideur. 

Les deux donzelles en questions ne sont autres que Mesdemoiselles Etude et Renommée réalisées par le sculpteur Gabriel Jules Thomas.  
Au dessous, dans un esprit transpirant encore l'éclectisme du XIXème siècle, ont été apposées les armes de Paris (Garnier était parisien d'origine, mais nous devons ce flambant "Nec fluctuat mergitur" au fait que le mausolée soit une souscription publique), ainsi que le plan du Palais sur lequel veille désormais monsieur Charles Garnier...

Paris sur un piédestal : "La Grisette parisienne"

p5050411.jpgAh Grisette, bien souvent je suis passée sous ton nez sans même te photographier ; pourtant je savais qu'un jour je parlerai de toi à travers ces pages virtuelles. Mais toi tu n'as pas non plus daigné baisser tes yeux de pierre vers moi ..... Alors aujourd'hui je te rends enfin un petit hommage, toi la parisienne d'un autre siècle que l'on a certainement croisé au coeur de la nouvelle Athènes alors si à la mode en ce début de XIXème siècle. Oui  Grisette, toi qui n'es pas plus grise qu'une souris et dont le sourire dégrise les esprits chafouins et autres humeurs chagrines, toi que l'encyclopédie définit laconiquement de "jeune ouvrière aux moeurs légères" et immortalisée en 1911 par le ciseau du sculpteur JB Descomps pour que Paris se souvienne encore un peu de toi, je te dédie aujourd'hui cet article.

Ah Grisette, ton petit sourire mutin a du en ravir plus d'un. Je ne t'avais regardé quep5050413.jpg de loin, mais maintenant que tu es emprisonnée dans mes fichiers numériques, je m'aperçois que ton regard en dit presque un peu trop long....quelle a été ton existence ? si seulement tu pouvais parler et donner encore un peu plus de vie à ton visage souriant mais qui laisse pourtant poindre l'inquiétude d'une vie ponctuée de soucis. Ton regard perdu dans l'horizon parisien semble traduire un chemin jalonné de quelques aléas douloureux mais que la légèreté de ton coeur a eu bien fait d'oublier... Ta tenue me fait penser aux ouvrages de la comtesse de Ségur, mais ce monde là tu n'as pas pu le connaitre, car ce n'était pas vraiment le tien. Et même si les bisets font fi de ta blancheur éclatante et s'amuse à te picorer ta coiffe ou ton épaule, tu restes là ignorer ce qui tourne autour de toi, toute perdue que tu es dans les préoccupations de ta petite vie aux couleurs guère éclatantes presque un peu délavées.

p5050416.jpgVous l'aurez donc compris, c'est de cette créature emblématique du Paris populaire du XIXème siècle (auquel on peut mettre le pendant masculin du Titi ou encore de Gavroche) et si joliment décrite par Ernest Desprez qui en dépeint un profil quasi sociologique, dont il s'agira ce soir. Comme une Grisette ne peut se décrire que par les mots, j'y joins donc quelques photos et mon interprétation personnelle pour évoquer ce qui fut un type de femme bien défini, jusqu'au milieu du XIXème siècle. Ma grisette parisienne, je l'ai rencontré au bord du canal St Martin dans le square Lemaitre ; elle est là au coeur de ce carrefour parisien animé, dans un quartier aujourd'hui bien cosmopolite, mais qui comme hier traduit le Paris du peuple auquel appartenait la Grisette à son époque. 
Cette jeune femme d'entre 16 et 30 ans d’origine modeste, mène la vie qui va avec ses origines : modeste. Elle occupe un petit métier de ville, brunisseuse, brocheuse, plieuse de journaux, chamoiseuse, chamarreuse, blanchisseuse, gantière, passementière, teinturière, tapissière, mercière, bimbelotière, culottière, giletière, lingère, fleuriste....un petit métier dont le salaire devra contenter ses modestesp5050419.jpg divertissements que son "Guguste" attitré et autres "amis des dimanches" pourront néanmoins améliorer pour peu qu'elle soit suffisamment charmante...et attachante. Image de la jeunesse de ces petites vies fragiles d'une époque encore balbutiante de modernité, le personnage de la Grisette laisse présager des bouleversements sociaux, poilitiques et économiques qui feront les XIXème et XXème siècles et pourrait sans difficultés rapeller les pages d'un récit balzacien.
La statue de Descomps me semble traduire de façon enjolivée le personnage de la Grisette. Un peu sublimée dans son allure, la jeune femme de blanc vêtue est presque virginale alors que la nubile passe en réalité plus facilement pour une jeune femme à la vertu légère. La tenue vestimentaire taillée par le sculpteur me parait presque trop grande et trop élégante pour cette vie sans envergure et le destin tout tracé par la condition féminine de l'époque à laquelle appartient cette jeune femme.
Notre Grisette du square Lemaitre laisse transparaitre une expression un peu tragi-comique, qu'on ne saurait qualifier de feinte ou de forcée évoquant parfaitement les malheurs qu'elle a du connaitre au cours de sa petite existence fade et sans couleurs particulières. La pauvrette a plus souvent subi plus qu'elle n'a choisi. 
Mais d'où vient donc cette appellation "Grisette", un peu saugrenue quand on voit la pâleur de la demoiselle sortie de la pierre blanche ? Simplement du nom de la petite casaque grise que portaient les jeunes femmes avec la coquetterie qui n'appartenait qu'à elles....
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Paris sur un piédestal : "Du bronze contre l'Infâme"

p4080347.jpgCe soir à travers l'évocation d'une statue et du ciseau d'un sculpteur, j'évoquerai ce que Voltaire a justement qualifié "d'Infâme", l'intolérance religieuse, combat que notre société continue de faire sien à travers le respect de la laïcité. Oui, je vais, en vous amenant au pied du Sacré Coeur, dans le petit square Nadar, rappeler combien  ce qui nous parait aujourd'hui bien évident et bien normal, ne l'était pas il y a quelques 250 ans...
Sur les toits de Paris, en hauteur, se tient entre quelques arbres et une aire de jeux pour enfants un jeune homme au destin brisé par l'obscurantisme de son temps. Image d'une affaire célèbre du XIIIème siècle pour laquelle Voltaire pris fait et cause, à ses propres risques et périls, le jeune Chevalier de La Barre, puisqu’il s'agit de lui, offre son sourire aussi railleur qu’innocent, au flot de touristes et autres parisiens qui passent devant lui et pour beaucoup d'entrent certainement, sans savoir ce que cache réellement cette légère insolence....
Oui, il s'agira donc dans ce nouvel article dédié aux statues parisiennes de traiter dep4080345.jpg cette affaire, dite du Chevalier de la Barre, du nom du jeune homme, qui fit grand bruit en son temps mais pas seulement puisque depuis l'ignominie qu'elle a symbolisé elle continue de faire parler....
Les historiens connaissent bien cette affaire du siècle dit "des Lumières" (et pourtant....que d'obscurité encore alors...) qui fut avec l'affaire Callas les deux plus grandes injustices du XVIIIème siècle. Mettez en vrac, une statue du Christ abîmée, quelques chansons libertines une procession religieuse, un système de délation grossier, des personnalités mues par leur rancœur ou leur ambieiton personnelle, ajoutez à cela des lacunes juridiques et légales et vous obtenez ce qui devint un scandale parfumé aux relents de fanatisme et d'étroitesse d'esprit, diligenté par un clergé et une justice arbitraire à la botte du système de cour qui prévalait encore sous l'ancien régime. 
p4080348.jpgAinsi, alors qu'il avait un véritable alibi, le chevalier de la Barre fut accusé d'avoir égratigné cette statue du Christ lacérée, mais aussi refusé de saluer une procession religieuse et chanter quelques chansons grivoises. Par un jeu de relations et de circonstances, ce jeune abevillois de 19 ans fut amené en 1766 à la torture et à la mort sous la lame du bourreau Sanson qui lui tranchera la tête malgré une défense acharnée du grand Voltaire qui, depuis sa résidence de Ferney, prend fait et cause de l’injustice et de la barbarie. Malgré la force de ses propos, notamment dans ses écrits ("le cri d'un sans innocent") et les risques encourus pour lui même dans cette affaire, le jeune accusé n'est pas sauvé.
Si la statue du jeune François-Jean est aujourd'hui sous nos yeux faisant d'elle l’objet de mon billet du jour, c'est qu'en 1794 la Convention réhabilite le supplicié.p4080349.jpg

Mais c'est en 1897 un comité de libres penseurs, décide d'élever un statue commémorative devant la Basilique de Montmartre en 1905 qui est ensuite déplacée en 1926 dans le square Nadar, emplacement qui lui revient encore actuellement. Malgré un déboulonnage par le gouvernement de Vichy en 1941 (reste d'un obscurantisme que l'on pensait définitivement disparu ?), la statue revient en 2001, dans une réalisation qui marie habilement classicisme et modernité, un peu à l'image du sujet traité : l'intemporelle mais fragile notion de tolérance et de laïcité....
Ainsi, sur in piédestal de pierre portant l’inscription "Au chevalier de la Barre, supplicié à l'âge de 19 ans le 1er juillet 1766 pour n'avoir pas salué une procession" figure debout le jeune garçon, les mains dans les poches et coiffé de son chapeau (qui lui valut donc quasiment l’échafaud...), reflétant peut-être un peu la posture qui a du être la sienne p4080352.jpgle jour de procession en juillet 1765. Ce qui frappe le plus dans cette statue c'est la posture retenue mais en même temps expressive ainsi que le visage du sujet.

Le sculpteur a en effet parfaitement traduit il me semble l'insouciance de l'adolescence,  cet âge qui rend sans doute aussi parfois un peu inconscient, à travers ce regard un peu goguenard, sans toutefois sous entendre le drame qui est lié au personnage et qui semble se nouer par cette simple posture. Non, il ne ressort des coups du ciseau de l'artiste que la verve, la gaieté, la nonchalance et la légèreté, un esprit légèrement railleur, comme celui de tous les jeunes gens de son âge....  Comme avec un air de défi, le jeune homme regarde au loin, le menton légèrement relevé. Il semble avoir pris de la hauteur sur cet obscurantisme qui a scellé le destin de sa jeune vie.
Sur le socle, pas de signature mais l'artiste a tout de même laissé son empreinte par cette inscription, soufflée par Voltaire  : "la plus remarquyable des lois est la tolérance universelle"Elle nous rappelle jusqu'où l'intolérance peut conduire : l'ignominie, qui a fait de ce jeune homme la victime d'une société pas encore si éclairée, qui n'est qu'à quelques trois siècles de notre France contemporaine. Aujourd'hui encore, on se souvient de ce scandale : de nombreux livres ont été écrits et deux associations actives prônant la laïcité ont été créées. C'est heureux, car "l'Infâme" quelque soit sa forme, reste encore et toujours à combattre. 
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Paris sur un piédestal : "Le Figaro, en toute lettre"

pb190115.jpgDans la rue St Antoine, à quelques encablures de la place des Vosges et de l'Hotel de Sully, à quelques pas de la Place de la Bastille et presque en face du temple, campe la statue d'un homme aussi complexe que fascinant, Monsieur Pierre Augustin Caron, plus connu sous le nom de Beaumarchais : lumière parmi les "lumières" du siècle auquel on a également associé cette image....lumineuse... Dans le quartier du Marais donc, non loin du boulevard qui porte aujourd'hui son nom, tout comme d'autres grandes figures d'esprit de son temps, trône l'homme pluridisciplinaire dont le talentueux Luchini a porté l'habit au cinéma.

Insolent, comme on aimait à l'appeler....Mais il y aurait tant d'adjectifs pour qualifier celui qui fut un véritable électron libre du XVIIIème siècle. Ami des révolutionnaires mais auissi protégé de la reine, parisien dans l'âme mais aussi grand voyageur, personnage attirant, troublant, intriguant évidemment, opportuniste peut être bien et arriviste sans doute un peu également, il a véritablement marqué la société française de son temps, mais pas seulement. Cet homme aux multiples talents dont le lus grand reste sans doute d'être là où on ne l'attend pas, est aussi attachant qu’énervant....laissant sespb190112.jpg contemporains comme ses successeurs naturellement un peu admiratif devant une telle personnalité.

Ce fils d'horloger au sens de la répartie aussi aiguisé que celui des affaires amasse en peu de temps, au gré de quelques procès et autres scnadales, une grande fortune. Homme de bons mots, c'est l'image d'un esprit vif que l'on retient souvent de Beaumarchais. Pourtant celui qui se fait connaitre tant pour ses écrits que pour les scandales dans lesquels il est impliqué est doué dans bien des domaines : homme de cour (il est secrétaire du roi puis lieutenant général des chasses), il manie une plume agile (qui se faire aussi acide) et semble avoir un cerveau toujours en ébullition. Mais outre ces capacités  intellectuelles supérieures, c'est également un homme d'argent.
Homme d'affaires et bon vivant, intriguant auprès de la cour, il arrive toujours à se sortir de la situation parfois périlleuse dans laquelle il se met. Un peu aventurier, il sillonne dans les années 1770 une partie de l'Europe au gré de ses pamphlets et de ses missions politiques. Libertin peut être pas complètement même si ses conquêtes et ses mariages successifs laissent entrevoir une considération pb190116.jpgpour les femmes toute relative, sans doute due à cette insolence caractéristique du personnage et à l'indolence qui est dans l'air du temps...Une insolence qui séduit, attire et qui à l'époque où les moeurs sont souvent légères, laissent les femmes à perruques blanches en véritable pâmoison.

Si on ne rapproche pas Beaumarchais de Casanova, on le compare facilement à Figaro, son fils spirituel (nom issu de "fils Caron"), sa créature, un peu son double. Mais derrière ce personnage populaire, cet "idiot utile" se cache l’annonciateur des thèmes de la révolution française. A travers ses écrits, comme ceux où apparaissent Figaro, Beaumarchais entre dans le cercle des "Lumières" de son temps. Sa vivacité d'esprit laisse entrevoir de nouvelles idées qui participeront à la chute de l'ancien régime et à la construction d'un nouveau monde. Dans ses oeuvres il distille les idées qui feront germer les bouleversements de la société.

Mais revenons à notre statue qui siège sur la placette... conceptualisée par Louispb190118.jpg Clausade en 1895 et réalisée par les frères Thiebault, elle transmet parfaitement la personnalité de l'homme d'esprit.

Le sculpteur laisse à Paris l'image d'un Beaumarchais dans toute sa splendeur : dans la force de l'âge avec une assurance que marque sa posture : le pied droit en avant et les bras croisés sur le torse,  il regarde d'un air narquois et terriblement insolent le passant qui lève les yeux vers ce personnage que l'on s'attend presque à voir se mouvoir et descendre de son bloc de pierre....il n'en est rien évidemment mais le ciseau habile du sculpteur a su rendre à son sujet toute la verve et tout l’esprit dont on le disait façonné. Avec ses bas de soie, sa redingote et sa canne il figure naturellement comme un nanti à qui tout a réussi...un succès qui assoit parfaitement ce charisme insolent et terriblement attirant.
pb190114.jpgIl me semble que Clausade a sur rendre quasi vivant ce personnage de bronze laissant transparaître à travers le matériau coulé et à jamais figé, toute la personnalité et le caractère hors du commun de cette homme qui vécu à une période charnière de notre histoire.

Personnage fascinant à la vie mouvementée, il reste encore aujourd'hui, du haut de son piédestal à regarder le monde avec son ironie naturelle, comme prêt à lancer une remarque laissant un auditoire aussi amusé qu'interloqué.
Un personnage picaresque, un peu à l'image de la célèbre phrase que l'on retient tous de lui et qui figure, tel un credo, en tête de page du quotidien "Le Figaro" : "Sans la liberté de blâmer il n'est point d'éloge flatteur".
 
Ce regard de bronze narquois, ironique et un peu moqueur, illustre immanquablement ce caractère qui disait qu'il "se presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer". La personnalité de Beaumarchais un peu attachante, montre combien le genre humain est animé de personnages hors du commun à la vie trépidante et passionnante.
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Paris sur un piédestal : Une place et une statue pour un hommage au Front Populaire

pa290130.jpgIl est des hommes dont la stature et la personnalité dépassent de loin celle des autres, au point qu'une place, une rue, un boulevard, une statue, une station de métro ou des stades municipaux suffisent à peine à rappeler l'empreinte qu'ils ont laissé dans l’histoire d'un pays. Il me semble que Léon Blum fait partie de ceux là.

Récemment je suis passée sur la place qui porte son nom, au pied de la mairie du XIème arrondissement. De loin une longue silhouette noire se découpait dans quelques feuillages et je me suis souvenue, pour être déjà passée par là, qu'on avait érigé à cet endroit une statue à la mémoire de l'homme d'état. 

L'idée d'un prochain article pour ma rubrique "Paris sur un piédestal" et quelques photos plus tard, je revisitais quelques cours d'histoire de lycée....il faut dire qu'il y en a dire justement sur cet homme, que l'on peut admirer, au delà des idées politiques.

C'est donc au coeur de la capitale qu'a été placée la statue du chef de gouvernement de la France des années 30, homme qui fut au coeur des avancées politiques, économiques mais plus encore sociales, majeures. Sur le parvis de l'hôtel de ville, entre quelques bancs et arbustes, se dresse la longue silhouette, dans un mouvement qui interroge...Commandée en 1985, par les pouvoirs publics de l'époque (rose au poing oblige) et réalisée la statue est réalisée par le sculpteur Philippe Garel. Cette réalisation, par le modelé de la matière, les volumes, la taille mais aussi la posture et la physionomie du personnage, traduisent parfaitement la personnalité de l'homme politique et du contexte historique de son époque.pa290129.jpg

Le personnage est grand, mince, imposant tout en restant discret....il jette sur l'ensemble de la place une vraie présence :celle des grands hommes. L'homme est debout, les mains croisées derrière son dos tiennent un chapeau mou. Vêtu d'un grand manteau, il porte une écharpe avec laquelle joue le vent. Outre le piédestal gravé du nom de l'homme dont il est question, on reconnait facilement l'identité de ce dernier grâce aux petites lunettes rondes et cette moustache que nous avons tous croisé dans les pages de nos livres d'histoire consacrées au Front Populaire.

Car c'est effectivement à cette période en même temps trouble et mouvementée de l'histoire de France qu'on associe spontanément Léon Blum : "l'homme des congés payés". Certes une avancée sociale sans précédent, mais il ne faut pas réduire le personnage aux premières vacances d'été des ouvriers de l'entre deux guerre.

Suivons le rythme du couteau du sculpteur pour en apprendre un peu plus sur cette homme complexe, car l'artiste qui a réalisé cette oeuvre a su rendre à travers son geste franc, vif, direct et appuyé toute la personnalité du bonhomme au fort caractère douée d'une grande intelligence et bien visionnaire.

pa290134.jpgL'homme politique, l'homme de la SFIO, le bras droit de Jaurès, l'ami de Thorez et de Sambat (que de station de métro dont le coeur bat à gauche....), l'homme des avancées sociales (à l'écoute de la parité) du contexte économique et politique tumultueux de ce début de XXème siècle, tout bruissant de modernité et de turbulences nationales comme internationales. Un homme d'envergure gouvernementale mais pas seulement...celui aux petites lunettes rondes qui regarde ainsi derrière son épaule a commencé sa carrière en étant critique littéraire et chroniqueur théâtral fort apprécié et fut lui même écrivain dans sa jeunesse (poèmes comme essais), pour normalien rien de bien étonnant....

A quoi peut il donc penser les mains derrière le dos, tournant ainsi la tête pour lancer un regard par dessus l'épaule, la tête un peu penchée, le sourcil relevé, circonspect mais attentif, vif. L'intelligence de l'homme a été fidèlement retranscrite dans cette représentation immobile, figée dans le mouvement, à l'image de cette personnalité aux idéaux affirmés.

Vers quel objectif tend il ? Est ce ici l'homme qui contribua à rassembler les intellectuels défendant le capitaine Dreyfus ? Ou bien est ce le président du conseil des ministre déterminé qui fait face aux mouvements de grève de 1936 ? Ou bien encore, celui qui ratifia après bien des valses hésitation les accords de Munich ? A moins que ce ne soit là l'image de l'avocat de la cause sioniste à laquelle il s'attache après la seconde guerre mondiale.

On peut tout supposer car de la bouche de bronze du vieil homme un peu fatigué par ces quelques décennies bien mouvementées mais toujours droit, aucune explication ne sortira....

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Paris sur un piédestal : près de l'Etoile, une métaphore du "Lys dans la Vallée"...

En quittant le rénovateur et le bienfaiteur urbain de Paris, en remontant le boulevard qui porte désormais son nom, en direction de la lumineuse Etoile parisienne nous débouchons sur l'avenue de Friedland. Là nous attend, songeur, perdu dans sa rêverie romancière, dans cette blancheur immaculée qui, par association d'idée fait référence à son "Lys dans la vallée"....(raccourci métaphorique assez rapide j'en conviens... le lys étant la pierre blanche et la vallée cette large avenue du 8ème arrondissement...), notre héros d'aujourd'hui. Vous l'aurez deviné il s'agira ce soir de Balzac, pardon Monsieur Honoré de Balzac, que je suis très honorée (!) de présenter, à ma façon, à travers l'évocation de ce piédestal sur lequel on l'a pour la postérité, juché.

Quand on évoque l'image de Balzac à Paris on pense souvent au témoignage laissé par l'illustre Auguste Rodin, mais bien moins souvent à cette statue de l'avenue de Friedland....Pourquoi ? Je ne saurais dire...Falguière, à qui l'on doit cette oeuvre pour le moins intéressante est il moins connu que Rodin ? Probablement. Pour autant chacun à leur façon, les deux artistes ont su retranscrire l'esprit, l'âme et la personnalité de l'écrivain.
Placée sur un terre plein au milieu de l'avenue de Friedland, tout près d'une rue qui porte également son nom, l'un des plus grands hommes de lettre français du XIXème siècle trône (et c'est le mot assez approprié), dans ce recoin du VIIIème arrondissement, un peu à l'écart de l'agitation des Champs Elysées. Une quiétude nécessaire à notre homme qui semble bien perdu dans ses pensées. 
La statue a été offerte par la "Société des gens de Lettres" en souvenir du grand romancier malheureusement disparu bien jeune mais dont l'oeuvre aussi dense qu'immense reste à jamais, inscrite dans le marbre de l'histoire de la littérature française. C'est à travers un hommage presque dépouillé que le sculpteur Alexandre Falguière (a qui l'on doit cette oeuvre réalisée en 1900, dans un style qui reste totalement le sien, c'est à dire académique), a choisi de retranscrire l'image du personnage principal de mon roman-photo du jour, d'une façon presque inattendue. En effet loin de l'image truculente et volcanique à laquelle on pourrait s'attendre, l'artiste a plutôt choisi d'afficher les traits et l'attitude d'un homme posé, réfléchi et surtout pensif, presque soucieux.
Car c'est sous les traits de l'inspiration et de la réflexion que Falguière a choisi de représenter Balzac. Dans un certain dénuement qui n'est pas sans rapeller les conditions de vie et de travail de notre bonhomme attaché à la sobriété permettant dans cette réalisation de concentrer les regards sur les traits du personnage en lui même.
Assis sur un banc, vêtu de sa symbolique et sempiternelle "robe de chambre blanche" (un écho à la couleur de la pierre employée pour cette oeuvre ?) et que l'on retrouve dans de nombreuses illustrations de l'écrivain, croisant les jambes les genoux dans les mains, il semble perdu dans ses pensées....
Pour seule compagnie, deux masques posés à ses pieds, sans doute une évocation à la "Comédie Humaine" oeuvre titanesque visant à décrire et retranscrire tout au long de ses romans les turpitudes et les aléas de la condition humaine. Sur ce piédestal blanc, l'oeuvre d'une vie, celle là même qui le garde à jamais dans le panthéon de la littérature française. Pourtant cette compagnie (certes relativement abstraite), ne semble pas toucher notre écrivain décidément bien songeur....à quoi peut il donc bien penser ?
Peut-être à l'ébauche d'un nouveau roman, l'esquisse du portrait de son prochain personnage principal, haut en couleur comme Rastignac ou plus discret mais néanmoins emblématique...comme le vieux Père Goriot.....quoi qu'il en soit un personnage qui figurera dans le vaste tableau de la société de son temps qu'il s'est plu à dépeindre à travers tous les genres littéraires qu'il a abordé dans ses différents romans : historique / politique, poétique, philosophique, réaliste, fantastique, voire mystique... témoignant dans tous les cas d'une grande aptitude à cette gymnastique stylistique plutôt rare chez les écrivains, même s'il est toujours resté dans l'écriture caractéristique du XIXème siècle. 
A moins que ces sourcils, légèrement froncés, soient le signe, bien plus terre à terre, des difficultés financières bien nombreuses de notre homme souvent aux prises avec les huissiers, avec qui il joue parfois à cache cache dans le quartier de sa maison de Passy ? Quelle ruse pourra t il à présent trouver pour échapper à ses créancier ? S'inventer encore une fois une identité ou bien choisir à nouveau une demeure fictive ?
Ou bien ce regard perdu est il du au doux souvenir d'une femme ?... Sans doute celui de la Comtesse Hanska, bien éloignée de Paris et de Saché mais si présente dans le coeur et l'écriture épistolière de l'homme de lettres. Peut-être est ce en effet la réminiscence du sourire de cette jeune aristocrate polonaise si difficile à conquérir mais qui finit par accepter la demande en mariage de notre homme, en 1850, l'année de la mort de ce dernier, dix sept ans tout de même après leur rencontre....La ténacité et la persévérance faisait sans doute partie des qualités du grand romancier. Une situation personnelle qui l'a probablement aidé et guidé dans cette dissection de l'âme et de l'humanité et qui l'a peut être d'ailleurs conduit à cette réflexion sur la vie, l'amour et la passion si bien décrite dans "La peau de chagrin", représentant selon les propres termes de l'écrivain : "la clé de voûte qui relie les études de moeurs aux études philosophiques par l'anneau d'une fantaisie presque orientale où la vie elle même est prise avec le désir, principe de toute passion"....Une évocation, elle même littéraire, qui laisse à penser que Balzac devait avoir une âme bien altruiste et une sensibilité lui permettant de comprendre et de discerner si justement les petites mécaniques de l'âme humaine qui participe à l'universalité de son oeuvre littéraire.
Maître du roman, il semblerait que lui même ait eu une vie romanesque, même si celle ci fut courte....Une vie néanmoins tournée vers cette écriture dont il semble boulimique, des heures d'écriture pour accoucher parfois de pages et de pages de texte raturées puis jetées au panier...Cette capacité de travail et cette silhouette massive de tourangeot bon vivant cachent néanmoins une santé bien fragile. Ce qui ne l'empêche pas pour autant de se donner entièrement à ses activités littéraires, que ce soit à travers le roman bien sûr, mais aussi le drame, l'essai, l’activité journalistique, la critique d'art et littéraire et même l'imprimerie...
Bien dommage pour cet acharné des belles lettres, créateur de plus de deux mille personnages qui ne rentrera pourtant jamais à l'Académie française....Mais les hommages lui sont tout de même rendus, d'une façon ou d'une autre : au Cimetière du Père Lachaise où il médite désormais dans son repos éternel et où sa tombe est toute l'année honorée (!) par les fleurs comme par les visiteurs. De même, au moins deux statues à son effigie ainsi qu'un musée et une rue qui portent à présent son nom rappellent l'attachement de l’écrivain à notre capitale.
 
Oui, il me faudrait vous parler de ce lien avec Paris, si important dans la vie de notre homme de mots. Il y a tant à dire sur le Paris de Balzac...alors plutôt que de vous lasser, lecteur, je préfère garder cette idée pour un autre billet...

Paris sur un piédestal : Plus que sur le boulevard, c'est sur la capitale que règne le baron...

Le roi des boulevards et des grandes avenues........si le titre de roi il ne portait pas, on lui avait tout de même accordé celui de baron et la charge de préfet (et ce pendant 17 ans)....ce qui en soi, n'est pas rien pour un seul homme....Mais celui dont il sera question ce soir dans ce second chapitre de ma promenade "Paris sur un piédestal" n'est pas non plus n'importe qui. Vous aurez peut être deviné que j'évoquerai ici celui qui fit trembler vieilles bâtisses et ruelles malodorantes, le bienfaiteur des calèches et de la sécurité des piétons, celui que nous remercions encore aujourd'hui pour sa clairvoyance urbaine et son goût architectural.....le grand Monsieur G.E Haussmann.

Oui, celui là même qui contribua a faire de notre ancienne Lutèce, notre Paris actuel, la ville lumière qui (malgré ce que peuvent avancer certaines mauvaises langues...) rayonne encore aujourd'hui sur de nombreuses villes françaises et étrangères, et qu'on regarde avec parfois des yeux écarquillés, qu'on soit parisien ou étranger....

Et c'est sur ses terres (enfin si l'on peut dire) qu'il a élu domicile, sur un socle de pierre, pour veiller sur une toute petite partie de ses travaux...Et si ce n'est pas sur la totalité, c'est au moins sur ce qu'il y a de plus emblématiques dans la capitale et qui lui a valu d'ailleurs de porter son nom : le boulevard Haussman. Cette longue artère sinueuse, pavée, reliant l'Etoile au centre frénétique du commerce, des gares, des bureaux et des immeubles.... ceux là même qui s'alignent et se dressent dans toutes leur fierté, heureux d'être désormais qualifiés d'immeubles "haussmannien", témoignage de l'esthétique du rationnel qui a fait la signature du bâtisseur parisien du Second Empire.

A croire que le bonhomme a révolutionné l'urbanisme de la capitale.....et ce n'est pas peu dire en réalité. Révolution est bien le mot : il suffit d'imaginer que Paris ressemblait au milieu du XIXème siècle à celui du Moyen-age, et de voir ce que celui qui avait "l'obsession de la ligne droite" en a fait en quelques décennies. Alors que les rues étaient sombres, étroites et insalubres, que ni l'air ni les hommes ne pouvaient y circuler, grâce à lui, les faubourgs voient le jour, les remparts disparaissent pour permettre à la ville de s'agrandir et les transports de se développer, les gares et les théâtres de se multiplier. 

Celui que l'on a hâtivement accusé de vouer "un culte de l'axe", aménage squares et jardins, impose volume et lignes dans les édifices, met en valeur monuments anciens avec les plus récents tout en mettant en scène de vastes perspectives sous formes d'artères et de places. 

C'est grâce à lui que naissent ainsi : Sébastopol, Strasbourg, Magenta, Arago, Voltaire, Diderot, Cours de Vincennes, Malesherbes, Saint-Germain, Saint-Michel, pour les boulevards ; Kléber, Foch, Victor Hugo, Carnot, Niel, Friedland, Iéna, George V, pour les avenues ;  et Rivoli, Soufflot, Réaumur, du Quatre-Septembre, de Rennes, Turbigo, des Ecoles pour les rues les plus célèbres.....permettant ainsi de désengorger la capitale et rendant  tout simplement celle ci plus vivable.

A cela il faut aussi le remercier pour les installations d'acheminement en eau et pour le réseau d'égoût...des choses qui nous paraissent vitales et normales mais qui il y a encore 150 ans environ ne l'étaient pas vraiment....Voilà déjà pourquoi notre homme peut être sur un piédestal...
Ce piédestal, parlons en quelques instants, aux lignes droites, il offre une grande simplicité, de même la statue qui y est posée. L'homme est représenté debout, vêtu de son pardessus et de son costume de ville, un chapeau haut de forme sous son bras droit rappelle sa distinction et sa classe sociale, tendis que dans la main gauche il tient un ouvrage qui indique érudition et responsabilités....et dans lequel peut-être tous ces travaux et ces exploits architecturaux sont inscrits ?  Son visage parait comme témoigner d'une personnalité visionnaire, moderne, certainement aussi un peu ambitieuse. 

Et cette rigueur qui semble innée à celui qui a fait de Paris un élégant quadrillage transpire de ce visage de bronze dont le regard est à jamais fixé vers la place de l'Etoile....A moins que ce regard  un peu perdu dans le ciel parisien, laisse supposer l'image d'un nouvel édifice en train de germer dans ce cerveau d'architecte toujours en ébullition, ou bien un nouveau projet en gestation, bientôt à présenter à l’empereur dont le soutien indéfectible permet à notre homme de pouvoir mener à bien ses entreprises car nombreuses sont aussi les pressions hostiles.

Peut-être d'ailleurs est ce à cause de ces animosités et des contestations diverses qui font que le préfet est ainsi modestement placé, car à voir la place qu'on a laissé à notre baron, il me semble que la ville de Paris aurait pu lui rendre un plus bel hommage. Il parait bien discret dans ce recoin du 8ème arrondissement sur ce petit socle de pierre où l'on a simplement rappelé l'identité du personnage. Un remerciement presque succinct au regard du travail pharaonique entrepris par ses plans d'urbanisation....Il faut dire que le baron a été longuement et bien vertement décrié....pour ses méthodes employées...pour raser l'ancien comme pour exproprier.....

Son titre même lui a été contesté, bien qu'il ne soit guère attaché à cette reconnaissance officielle. Alors qu'un interlocuteur lui suggérait d'être nommé duc de la Dhuis (en référence au nom de cette rivière venant, grâce aux travaux d'Haussmann alimenter Paris), il répondit : "de la Dhuis ? Mais duc ce ne serait pas assez". "Que voulez vous donc être ?" lui répondit l'autre, "Prince ?" Le baron rétorqua, "non mais il faudrait me faire aqueduc, et ce titre n'existe pas dans la nomenclature nobiliaire..." Voilà une anecdote qui montre combien l'urbaniste avait de caractère...

La statue de bronze a été réalisée à la technique de la cire perdue, par Bisceglia, sur un modèle du sculpteur Cogné, comme l'indique sa signature en bas de l'oeuvre.

Paris sur un piédestal : Dans le jardin du Ranelagh on récite encore les fables...

Un article transmis par un très proche, une souvenir d'enfance, de belles lettres, quatre maréchaux.....il n'en fallait pas plus pour me mettre sur la voie d'un nouveau billet et dans la foulée, créer un nouveau chapitre à mon "roman-photo" parisien.... C'est donc avec M. Jean de la Fontaine que j'entame cette série de billet "Paris sur un piédestal", consacrée aux statues parisiennes, pour rendre un petit hommage supplémentaire à ces hommes et ces femmes qui sont restés dans l'histoire de Paris, parfois l'histoire de la France ou bien encore dans notre histoire universelle, nous fixant, nous mortels passants, avec des yeux reflétant leur personnalité toute singulière, ou bien le regard perdu au loin dans les souvenirs de leur destin hors du commun, du haut de leur socle de pierre.... C'est donc par l'illustre auteur classique à perruque de nos fables scolaires, que j'entame ce nouveau chapitre. 

Située au coeur du jardin du Ranelagh, ce jardin triangulaire dessiné en 1860 sous la houlette du préfet Haussmann, ancien emplacement d'un ancien bal très populaire, "le petit Ranelagh", la statue se dresse et se découpe dans les feuillages environnant. 
C'est au sculpteur moderne portugais Charles Correia que nous devons cet "Hommage à Jean de La Fontaine" ensemble monumental réalisé en 1983 et inaugurée en août 1984. Habitué des sculptures de figures, des bustes et des groupes monumentaux, il réalise la statue de la Fontaine en remplacement de la statue en bronze fondue au cours de la seconde guerre mondiale. Sa version, plus contemporaine que la première, est toutefois librement inspirée de l’original et occupe le même emplacement.
Elle met en scène l'homme de lettres sur un piédestal, surélevé de quelques marches et autour duquel le promeneur peut tourner (et par là même lui donner l'occasion de se rendre compte que notre bonhomme a fait l'objet d'un hommage littéraire tout particulier par les touristes, amoureux transis et autres désoeuvrés....). Un peu trapu, presque courbé l'auteur, se penche en avant pour observer le jeu de deux de ses personnages de fables, probablement les plus célèbres, ce renard et ce corbeau, qui, n'étant pas ici sur un arbre perché tient toutefois bien son clacos dans le bec en regardant d'un air mi-idiot (....ba oui .... je connais la fin de la fable...), mi étonné, le renard qui lui rusé (comme il se doit), pressent déjà la fin de l'histoire....
Une oeuvre en bronze donc, qui luit à certain endroits au gré des heures ensoleillées....sur le museau ou sur le délice qui s’aprête à tomber...Cet ensemble qui ne parait pas si contemporain (l'artiste a donc su fidèlement retranscrire les traits et l’ambiance rendue par la première épreuve), est empreinte d'une grande humanité. Le caractère de l’homme de lettre et l'ensemble de son oeuvre se ressentant totalement dans cette oeuvre monumentale, publique. En effet, c'est mansuétude et bienveillance qui ressortent de cet ouvrage, dans lequel on sent également une grande finesse d'esprit évidemment, ajoutée d'un peu de malice et d'un brin d'ironie.
Ce qui est à souligner c'est le caractère animalier qui a été préservé dans cette réalisation, alors même que l'ensemble des personnages des fables, souvent des animaux (ou bien des végétaux), présentent les caractères humains, universels. Et c'était bien là toute l'intelligence de l'auteur qui pour mieux faire passer ses messages déguisait sa morale sous les traits d'acteurs "anonymes"....D'ailleurs comme le disait lui même La Fontaine : "Je me sers d'animaux pour instruire les hommes" ce qui témoigne de son intelligence mais aussi de son sens de l'humour.
Le vieil homme, peut-être un peu désabusé et blasé par l'âme et la condition humaine, par cette société qui l'entoure, semble avec hauteur (au sens propre comme au sens figuré...), regarder un spectacle, dont il n'est qu'à moitié l'auteur (le but des fables n'était il pas souligner, voire de dénoncer avec caricature, les penchants humains ?).
On oublie bien souvent que bon nombre de proverbes "tombés" dans notre langage courant, sont en réalité issus des fables de la Fontaine. Ainsi, "Aide-toi, le Ciel t’aidera", "Il ne faut jamais vendre la peau de l’ours / Qu’on ne l’ait mis par terre", "Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras", sont souvent employés en oubliant que c'est le fruit d'une oeuvre tout à la fois de poésie mais aussi de pensée. Car "Les Fables" offrent une méditation, entre autre, en acte sur la nature et les effets de la parole, spécialement politique. 

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