En traversant les ponts...

En traversant les ponts : entre eau et ciel, entre 15ème et 16ème, la danse de l'acier...

Après le romantisme et mes états d'âme du Pont Alexandre III puis le ressourcement et la poésie historique du Pont neuf...voilà que nous quittons l'agitation du coeur de la capitale pour aller rejoindre l'allée des Cygnes. Le pont parisien dont il sera question ce soir étant en effet le point de départ (ou d'arrivée) de cette promenade parisienne un peu oubliée, un peu délaissée, mais pas totalement dénuée d’intérêt et dont l'une des deux entrées/sorties rejoint son centre. Il s'agira donc ici du Pont de Bir Hakeim, singulier et intéressant à plus d'un titre : historique, architectural, urbain et artistique.

Alors que l'allée des Cygnes et la Seine sépare naturellement les 15ème et 16ème arrondissement, le pont Bir Hakeim les relie. Anciennement appelé "Passerelle de Passy", il est construit en 1878 pour les besoins et les fastes de l'exposition universelle de la même année. Ce premier pont est largement remanié entre 1903 et 1905 dans le cadre d'une seconde exposition universelle. 

L'ouvrage est renforcé dans les années 19430-1940 par des travaux qui font disparaître une partie de sa décoration d'origine. Le pont est alors rebaptisé "Pont de Bir Hakeim" en 1948, en souvenir de la bataille du même nom (une victoire remportée en 1942 par les troupes de la France libre dans le désert de Lybie). L'ensemble est classé aux monuments historiques depuis 1986.

Mais que présente il de particulier ? Il est en réalité composé de deux étages, un pont fluvial (de deux fois trois arches), sur lequel passent piétons, vélo (puisqu'une piste cyclable y a été installée) et voitures ainsi qu'un viaduc aérien (installé durant les travaux de 1905), posé sur le premier, permettant les trajets d'une ligne de métro. Entre terre (mais aussi....ou plutôt... fleuve) et ciel, le pont Bir Hakeim présente une remarquable installation tant architecturale qu'artistique, le tout dans un certain éclectisme qui n'est pas sans rappeler celui du Pont Alexandre III, qui, quand bien même très différent reste un ouvrage du même acabit.

Long de 237 m sur 24,7 m de large, il offre aussi bien une vue sur la Seine comme un spectacle architectural moderne assez impressionnant lorsque l'on est sous l'arche métallique, éclairée de chaque  côté par un chapelet de lanternes art déco.

Le pont aérien présente en son centre, juste devant l'entrée de l'alée des Cygnes, deux bas reliefs imposants évoquant d'un côté, "la Science" et "le Travail" de Jules Coutan, de l'autre "l'Electricité" et "le Commerce" de Jean-Antoine Injalbert...autant dire qu'il fallait bien que soient symbolisés des progrès et des sciences notables pour que l'on compare ces atlantes massifs à des notions plutôt abstraites....que surplombent deux "Fluctuat nec Mergitur" de pierre ornent le milieu du pont aérien, face à la Seine.

Quant au pont fluvial, sa décoration n'a pas non plus été oubliée, dans la tradition des ponts parisiens du 19ème siècle, elle offre au passage des bateaux mouches et autre péniches, la vue de quatre groupes (deux en amont et deux en aval) composés de quatre nautes équipés d'accessoires maritimes (filet, bouée, voile, etc.) et attachant un blason de la ville de Paris pour la première pile, et quatre forgerons-riveurs, qui fixent un blason aux monogramme de la République Française à la seconde.

Voilà un éclectisme décoratif qui correspond assez bien à l'éclectisme urbain environnant dans ce quartier déjà un peu en retrait. En effet les quartiers cossus du 16ème, rive droite font face, à ce que je me permets d'évoquer la "bavure architecturale" de Beaugrenelle, située sur la rive gauche.
Toute de fer vêtues, ces passerelles, grisée dans le ciel, verte au ras des flots de la Seine, évoque la prouesse et le développement de l'utilisation de l'acier dans l'urbanisme, insufflé par la révolution industrielle. Bien qu'assez ternes et froides elles ne sont pas sans charme ni originalité, que ce soit de l'allée des Cygnes où c'est la passerelle fluviale qui accompagne de loin les promeneurs entre quelques feuillages qui se marient à ses propres couleurs, ou que ce soit sou l'arche métallique grise qui supporte les rames de métro et qui offre une perspective aussi moderne que saisissante, notamment de nuit.

Et d'ailleurs, de nuit, peut-être verrais je un jour le fantôme de Désiré passer rapidement en roller ou en vélo entre les piliers d'acier gris...

En traversant les ponts : Sous les arches du Pont Neuf...rien de nouveau...

Qu'il a été long à venir ce billet....je ne pourrai en donner l’explication mais il est certain qu'il est passé par une longue période de maturation... et alors que l'inspiration n'est pas venue pendant des mois pour ce monument parisien auquel je voulais dédier un hommage approprié, subitement (peut être grâce au ciel printanier et au rayon du soleil caressant la pierre blanche et illuminant les visages de pierre qui le décorent), l'éclaircissement s'est fait dans mon esprit, me soufflant les idées et les mots pour transmettre ce qui me semble correspondre à ce lieu qui a toujours attiré mon attention et mon affection de parisienne...Ma sensibilité ayant sans doute été touchée par ce témoignage chargé d'histoire et de symboles. 

Le Pont Neuf, c'est un peu la voie royale (une expression appropriée quand on sait qu'il a pour hôte la statue équestre du roi Henri IV) pour passer de l'autre côté de la Seine, accéder ainsi à l'île de la Cité et à ce que j'appelle personnellement le "Petit Paris médiéval" fait simplement de quelques ruelles, jalonnées de pavés irréguliers et déformés, de petits escaliers, de pierre biscornues ; un quartier dont les portes en bois à lourdes poignées de ferraille s’harmonisent aux noms des rues gravés à même la pierre....
Situé à la pointe ouest de le l'ile de la Cité, le Pont Neuf (initialement appelé Pont du Louvre) est considéré comme étant l'un des lieux d'origine de Paris. Paradoxalement au nom qui lui a été donné (pour marquer la révolution urbaine de l'époque et son opposition aux anciens modèles), c'est le pont le plus ancien de la capitale subsistant encore aujourd'hui.....il peut subsister car il a été très long à édifier.... pensez donc : Entamé en 1578, le chantier est long à faire aboutir...il faut dire que le contexte politique et social ne se prête pas beaucoup à la construction des ponts... on préfère se taper dessus pour des questions de religion. Ainsi le chantier est interrompu pendant 10 ans entre 1588 et 1598. Il faut la clairvoyance et l'intelligence d'Henri IV qui met fin aux guerres intestines pour permettre aux deux rives de se réunir en la présence de ce pont, qui finalement est achevé en 1607. Il est dès sa construction la promenade publique la plus appréciée et la plus fréquentée de la capitale, et toutes les classes de la population parisienne s'y retrouvaient. 
Sur le plan urbanistique il va de pair avec la construction de la place Dauphine, que l'on trouve entre le terre plein situé entre les deux culées du pont et le Palais de la Cité. Voulue par Henri IV sa particularité (pour l'époque) est qu'elle soit fermée, présentant des façades identiques. 
C'est Baptiste Androuet du Cerceau qui est le premier architecte en charge de ces travaux d’envergure. Composé de courtes arches (12 précisément), le Pont Neuf devait à l'origine pouvoir accueillir des habitations, ainsi le soubassement et les fondations ont elles été aménagées en fonction. C'est lors de la reprise des travaux en 1598, lorsque le roi confie le projet à Guillaume Marchant et François Petit, qu'il est décidé qu'il ne porterait pas de maisons. Il est également à noter que c'est le premier pont que l'on construit non couvert. 
Sa physionomie diffère à bien des égards de celle des autres ponts parisiens : Ses 238 mètres de long (pour 20,5 mètres de large) font de lui le troisième pont plus long pont de la capitale. Il est le seul à traverser la Seine dans toute sa largeur, il innove dans l'installation de trottoirs et de balcons en demi cercle situés, au dessus de chaque pilier où marchands et artisans tennaient boutique.
Réalisé en pierre blanche, il offre tout l'éclat et la noblesse qu'il convenait de donner à cet édifice moderne, novateur, élégant et raffiné, auquel on a apporté un soin dans la décoration : la statue équestre d'Henri IV posée quelques années après la mort du roi en témoigne, mais pas seulement. Il suffit de s'attarder quelques instants sur les 381 mascarons réalisés par Germain Pilon pour se rendre compte que l’aspect extérieur de cet édifice était aussi important que sa fonctionnalité. Ces visages grimaçants, souriants, jeunes ou vieux, barbus ou chevelus, réalistes comme parfois imaginaires, reflètent totalement l'esprit de la Renaissance et le répertoire iconographique et décoratif de l'époque, empreinté à nos voisins italiens.

Ce pont a toujours suscité beaucoup de choses en moi, par rapport au passé mais aussi au présent. Il me semble que son histoire et son témoignage nous aide à mieux comprendre le présent, et appréhender le futur. Cet édifice qui mit si longtemps à se construire mais qui aujourd'hui subsiste encore et toujours dans toute sa majesté, nous donne à penser, à persévérer aussi peut être. Ces visages qui invariablement croisent le regard des passants qui se hasardent à passer sous les arches, semblent comme veiller sur le fleuve tranquille et garder jalousement pour eux tous les souvenirs de Paris qu'ils ont emmagasinés depuis qu'on les a plaqués sur les flancs du pont.
Le Pont Neuf, comme certains autres endroits privilégiés de la capitale, est un lieu où j'aime me promener, passer mais pas seulement....aussi un peu méditer sur le temps, la vie, la persévérance, et me laisser envahir par tout ce qu'il peut me transmettre, et notamment la sagesse qu'il m'inspire. C'est un ressenti assez particulier, voire inexplicable. Sur les bords, comme lovée dans les balcons, c'est souvent un sentiment d'apaisement qui m'envahit lorsque mes pas me conduisent jusqu'au Pont Neuf. Rassérénée, encouragée, sa présence bienveillante est presque un baume passé sur mon coeur parfois malmené par les aléas et les turpitudes de la vie.....

Paris en traversant les ponts : Où l'empereur Alexandre fait place à Désiré

Paris ne serait pas Paris sans ses ponts, ceux là même qui permettent aux deux rives de se rejoindre et de ne pas s'ignorer (encore que...). Ces ponts qui jouent avec les bras de la Seine, qui sont autant d'étapes jalonnant le cours de l'eau sur son chemin tranquille et qui nous laissent le loisir de nous rapprocher un peu plus d'elle....L'eau, encore elle, omniprésente.... C'est donc à ces ponts justement, au nombre de 37 précisément, que je souhaiterais dédier cette nouvelle catégorie de mon roman-photo parisien. Car les ponts, en plus de prendre part à l'histoire avec un grand H, ont aussi leur histoire et participent à nos petites histoires, qui font partie de la grande histoire de nos vies...

Je pensais tout d'abord entamer cette succession d'articles en évoquant le Pont Neuf, pont le plus ancien de Paris situé dans le 1er arrondissement, ce qui aurait été un départ logique dans cette nouvelle promenade parisienne, mais j'ai finalement décidé de dédier ce premier billet sur le sujet au Pont Alexandre III, venu récemment illustrer un rendez vous avec Désiré....Un lieu de rencontre bien agréable, un brin romantique et quand bien même l'Homme ne fait pas attention à ce genre de détail, moi il me plait de le souligner car il fige un instant, certes simple mais qui, une fois enregistré dans ma mémoire, revêt le même habit doré que celui des ornements de ce pont pointant vers le ciel ...l'habit de ces instants qu'il vous plait de revivre à travers le souvenir, encore bien longtemps après qu'ils se soient achevés.

Il faut dire que la physionomie de ce pont du 8ème arrondissement porte particulièrement bien au romantisme, à la légèreté et à la poésie....il suffit de plonger son regard dans celui des sculptures qui vous sourient et vous invitent à un petit voyage dans un ailleurs, ou bien de descendre les escaliers qui permettent de flâner dans le ventre du pont et de croiser le visage d'une muse regardant aussi pensivement qu'imperturbablement la Seine...à quoi peut elle donc rêver ? 

Mais venons en au pont, puisqu'il s'agit de lui....Construit entre 1896 et 1900, il vient symboliser l'amitié franco-russe conclue par la signature de l'alliance entre les deux pays, par Alexandre III et Sadi Carnot en 1891. Il s'inscrit également dans le cadre de l'exposition universelle de Paris en 1900, tout comme le Petit et le Grand Palais qui furent également construits à la même époque (ce sont d'ailleurs les trois édifices réalisés pour cette exposition universelle qui n'ont pas été détruits par la suite), les reliant à l’Esplanade des Invalides, sur la rive gauche. Toutefois ce n'était pas une totale innovation puisqu'au début du XIXème siècle avait déjà été tentée la construction d'un pont métallique, qui fut détruit pour vice de forme.
Long de 160 mètres pour 40 mètres de large (faisant de lui le pont le plus large de Paris), il est réalisé en acier, sur une seule arche et de façon à ce que l'on puisse voir entièrement les Invalides depuis le Rond Point des Champs-Élysées. Sa largeur a également été pensée pour être proportionnelle à celle de l’avenue qu’il prolonge, l'avenue Wintson Chruchill.

En cette période où l'art nouveau frémissant annonce un renouvellement dans les arts décoratifs, il fait l'objet d'une décoration très poussée, permettant ainsi au meilleurs sculpteurs que Paris pouvait alors comptait à l'époque de laisser libre cours à leur imagination et tout le loisir d'exprimer ce qui allait faire les inspirations artistiques de ce XXème siècle naissant. Outre les 32 candélabres qui ornent le chemin du promeneur, ce sont également quatre renommées (divinités grecques ailées), qui marquent les abords du pont, représentant successivement : les Arts et les Sciences (oeuvres de Frémiet), sur la rive droite, le Combat (oeuvre de Granet) et l'Industrie (oeuvre de Steiner), sur la rive gauche. Les décorations à la base de chaque pylône renvoient pour chacune à une époque de l'histoire de France : le Moyen-Age, la Renaissance, la France sous Louis XIV et la France à l'époque moderne. Ces allégories sont accompagnées de lions en pierre, d'amours, de génies, de poissons et de coquillages en bronze placés aux extrémités. Une luxuriance décorative mais aussi technologique à l'aube de ce XXème siècle, qui s'exprime dans les importants travaux de soubassement et de fondation. Dorures, pierres sculptées, bronzes, visages expressifs
ou impassibles, hommes et animaux se mêlent dans un certain éclectisme, qui étonne, voire transporte, pour un hommage à l'amitié franco-russe comme 
aux arts décoratifs.

Classé au titre des monuments historiques depuis le 29 avril 1975, le pont Alexandre III a fait l'objet d'un toilettage en1991 lui permettant, entre autre, de retrouver sa couleur gris perle initiale.

Cette petite friandise architecturale parisienne a donc fait de ce moment privilégié, certes fugace mais heureux, un de ces petits instants sucrés de l’existence qui rend la vie un peu plus rose, plus gaie, plus lumineuse aussi, vous laissant pendant un temps un arrière goût bien agréable et un sourire sur les lèvres.... C'est donc sous le regard des angelots amusés et les ors des muses ailées que je me promène parfois le long des quais pour encore et toujours admirer l'eau, qui paisiblement continue d'aller et laisser dans ce décor presque de contes de fées, l'ombre de Désiré planer...