- Le 20/08/2011 à 18:52Derrière les portes et les façadesCommentaires (0)Ajouter un commentaire
Du temps. Oui, ce soir à travers ce nouveau billet "Derrière les portes et les façades" il sera question de temps...mais d'un autre temps que le temps parisien qui va toujours trop et plus vite...cette ébullition des minutes qui s'échappent dans notre quotidien et qui nous empêche tout simplement de prendre le temps de regarder ce qui est juste sous nos yeux. Ce temps qui poursuit toujours sa course, sans que rien ne puisse l'arrêter, bien au contraire alors même que nous voudrions gagner du temps pour profiter davantage de la vie, nos rythmes effrénés ne font que le pousser un peu plus vers l'avant...
Alors ce soir il sera donc question du temps, celui là même qui semble s'être pourtant arrêté au 61-63 de la rue
Réaumur (2ème arrdt) comme l'indique imperturbablement le gros cadran juché en haut de cet immeuble Art Nouveau....le temps s'est arrêté, et pourtant tout sur cette façade indique le temps qui passe.....
Construit durant les prémices de ce qui sera ensuite appelé "Art Nouveau", l’immeuble de six étages dédié à l'habitat est achevé en 1900. Philippe Jouannin et Edouard Singery en sont les architectes concepteurs, tendis que la décoration foisonnante a été réalisée par le sculpteur Jacquier.
L'ensemble est assez étonnant voire hétéroclite, car avec l'Art Nouveau nous sommes plutôt habitués au registre floral et naturel, ici on est encore dans un style architectural davantage influencé par le néogothique qui sévissait au 19ème siècle...Un heureux mariage du sacré et du profane ? Sans doute car les voûtes d'ogives, les arcades, les pilastres, les fenêtres qui prennent l'allure de vitraux et les quadrilobes, accueillent tout simplement un décor composé de quatre visages en moyen relief représentant les quatre saisons : Pomone (Automne), Borée (Hiver), Flore (Printemps) et Cérée (Eté). A ces portraits placés de trois quart, s'ajoutent une
évocation des douze mois de l'année inscrits en tête de chaque chiffre du cadran et enfin les douze signes du zodiaque en bas reliefs, au niveau des 2ème et 3ème étages. Quelques détails de mosaïque viennent encore achever cet étrange assemblage par quelques notes dorées...
Si un certain éclectisme règne sur ce bâtiment il évoque à lui seul une certaine idée du temps, une idée que l'on n'a d'ailleurs plus aujourd’hui.....Alors pour figer encore un peu ce temps avant qu'il ne fuisse définitivement, voilà quelques mots laissés par Boileau, qui évoquent également le temps des saisons, qui elles mêmes égrènent le temps....
Et pour ma part, je prendrai le temps d'attendre Désiré....qui lui aussi prend tout son temps....
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- Le 11/08/2011 à 21:10Derrière les portes et les façadesCommentaires (0)Ajouter un commentaire
C'est en redescendant la rue Blanche (9ème ardt) que j'ai croisé un personnage qui reste une figure bien emblématique de la ville de Paris, même si cette personne est morte il y a quelques 126 ans...En effet, au n°78 de la rue qui relie le quartier de Pigalle à la très chaste place d'Estienne d'Orves, se dresse une vieille bâtisse, au style très particulier, au cachet presque médiéval, avec ses fenêtres à croisillons et sa pierre d'une douce couleur sable sous les rayons du soleil matinal, décorée de quelques discrètes sculptures. Il s'agit en fait à ce niveau de la rue, de l'ancienne maison de Théodore Ballu, grand architecte parisien du XIXème siècle, qui laisse à la capitale plus d'un édifice remarquable.
La porte cochère ne s'est pas ouverte devant moi, les fenêtres non plus d'ailleurs, mais la plaque commémorative qui trône au dessus du fronton de l'entrée m'a invitée à m'intéresser d'un peu plus près à ce n°78...notamment
un détail m'a donné envie de mener une petite enquête qu'à ce jour je n'ai pas totalement pu faire aboutir. Au dessus de la porte a été sculpté, en signe d'hommage, et de souvenir, un compas, un pendule et une équerre. Des outils bien utiles à un architecte me direz vous, certes.....mais ces deux éléments m'ont également rappelé les symboles d'une confrérie, celle de la franc maçonnerie.
Et quand j'ai lu que ce monsieur Ballu avait entre autre dirigé le chantier de la construction de l'église de la Trinité, je me suis d'autant plus interrogée sur ce détail sculpté. En effet une opposition plutôt étonnante quand on sait que l'architecte avait voué sa carrière à l'édification des bâtiments de cultes (les exemples de ses travaux à caractère religieux sont multiples dans Paris) et que la franc maçonnerie ne prône aucune religion, au contraire, mais trouve ses fondements dans la tolérance, des principes et des idéaux tant éthiques que métaphysiques. Et quand bien même un "être suprême, un "grand architecte" (comme il est littéralement nommé)
existe bien pour les francs-maçons, il n'est certainement pas question du Dieu de l'Eglise et encore moins de notion de la Sainte Trinité...même si le chiffre 3 est un chiffre clé pour la grande Loge.
Cette juxtaposition de croyances et de philosophie et en même temps cette concordance de symboles m'ont interpellée, peut-être trouverai je d'autres éléments à apporter à mon enquête en m'intéressant à d'autres oeuvres que ce monsieur a également réalisé.
Car outre l'église de la Trinité, oeuvre emblématique (parmi d'autres) du second Empire et qui restera sans doute son oeuvre phare pour laquelle il est passé à la postérité parisienne, Ballu a également réalisé d'autres travaux non négligeables, comme le temple du St Esprit (8ème ardt), ou l'église St Ambroise (11ème ardt). Il participe également à la rénovation de la tour St Jacques (1er ardt), mais aussi à celle du beffroi de l'église St Germain l'Auxerrois (dont je serais sans doute appelée à reparler un jour ou l'autre), dans lequel il
fait preuve d'une belle dextérité. Il a en effet ici écrit une page architecturale dans un pur gothique flamboyant fidèle à l'original dans un bel usage de la pierre. Dans un tout autre style, il se donne également à la reconstruction de l'Hôtel de ville incendié durant le Commune.
Son érudition notamment dans le domaine de l'archéologie, sa maîtrise des styles, son souci du détail et son exigence dans la qualité de l'exécution des travaux lui ont permis de se voir confier ces grands chantiers parisiens mais qui lui valent également des postes de haute administration, notamment celui d'inspecteur général des travaux de la ville de Paris entre 1871 et 1876.
Alors, si l'équerre, le compas et ce pendule qui figurent sur la façade de cete vénérable batisse, ne m'ont pas encore tout révélé des secrets de Monsieur Ballu, ils m'ont en tout cas permis de faire la connaissance de ce grand parisien...
- Le 14/06/2011 à 20:59Derrière les portes et les façadesCommentaires (1)Ajouter un commentaire
Dans le coeur du 3ème arrondissement en allant sur l'ancien site des Halles reconverties depuis quelques décennies en centre d'Art contemporain (Centre Pompidou), se trouve la petite rue de Montmorency. Cette ruelle un peu tortueuse, aux petites portes de bois, reflète le Paris moyen âgeux, cette époque où les légendes se forment facilement et se transmettent ensuite pour rester dans l'histoire populaire et la "petite Histoire" de France. Dans ce coin de la capitale habitait durant la Guerre de Cent ans, un certain Nicolas (encore un !) Flamel, un nom qui restera dans les esprits...un peu à cause de cette petite maison dont on dit que c'est la plus ancienne de Paris...mais pas seulement pour cette raison....
Alors voici en quelques lignes pourquoi ce numéro 51 de la rue de Montmorency, "la maison au grand pignon" , faisait autant parler de lui : Au numéro 51 donc, subsiste encore aujourd'hui une maison du XIVème isècle (largement restaurée tout de même depuis...). Cette adresse n'est en réalité qu'une propriété parmi les nombreuses que possédaient Nicolas Flamel, qu'il fait construire au début du XVème siècle.
La maison, sur plusieurs étages, est basse de plafond et ornée sur sa façade des initiales de son propriétaire et d'inscriptions, presque sibylline aujourd'hui mais que les ouvrages anciens nous permettent de décrypter : "Nous, hommes et femmes laboureurs, demeurant au porche de cette maison qui fut faite en l'an de grâce 1407 sommes tenus chacuns de dire tous les jours un pater et un Ave maria en priant dieu que sa grâce fasse pardon aux pauvres pêcheurs trépassés. Amen". Le rez de chaussé était voué au commerce, les étages à l'herbegement gratuit de ces nécessiteux.
Cette maison portant cette déclaration est le meilleur exemple, et l’unique, subsistant de l'oeuvre charitable de Nicolas Flamel qui voua sa vie au service de son prochain, en partageant sa fortune avec les plus démunis. Mais au fait qui était il vraiment ?
Bourgeois parisien du XIVème siècle, Flamel est écrivain public, copiste et libraire juré. Son sens de l'investissement immobilier, et son mariage avec sa femme Pernelle, (deux fois veuve possédant de grand bien, épousée vers 1370), lui permit de jouir d'une fortune confortable, qu'il mit au service du développement urbain parisien, mais aussi au développement des activités des libraires copistes, et enfin et surtout au service des plus pauvres. Notamment à travers
l'édifciation de plusieurs bâtiment religieux, de maisons destinées à accueillir les plus démunis (comme ce n° 51). Paroissien de St Jacques de la Boucherie, son nom ainsi que celui de son épouse Pernelle furent donnés à deux petites rues proches de l'ancienne église qui existe encore de nos jours en bordure de la rue de Rivoli.
Cette opulence (favorisée notamment par le contexte économique faible de cette période) et le statut de lettré de Nicolas Flamel ont largement favorisé à l’élaboration de la légende faisant de lui le découvreur de la pierre philosophale permettant de transformer les métaux en or... C'est ainsi que la légende de l'alchimiste est en partie née de cette personnalité moyen-âgeuse...
Ce mythe est également nourri au fil des siècles par différents ouvrages faisant état, comme pour d'autres nantis de l'époque, de savoirs en
la matière détenus par des fortunes bourgeoise du Moyen-Age. Dans le même temps, apparaît l'idée qu'un sens alchimique est caché dans les figures allégoriques
religieuses qui ornent les arcades du Cimetière des Innocents (à l'emplacement de la fontaine du même nom), pour lequel Flamel a contribué à d'importants travaux. Différents ouvrages sur le sujet ont ainsi contribué à bâtir la réputation de Flamel comme étant l'alchimiste par excellence, notamment le
"livre des figures hiéroglyphiques" (fin XVème - début XVIème)....
Aujourd'hui, seule la petite maison basse, anciennement maison d'accueil et d’assistance auprès des pauvres, susbiste de cette légende, le reste est gardé dans des musées pour ce qui est des vestiges du cimetière des innocents, et dans les bibliothèques pour ce qui est des archives et des grimoires.....Dans la rue, cette bâtisse reconvertie en restaurant n'offre comme seul témoignage de Flamel que cette inscription restaur&ée et à la patine presque exagérée....
- Le 05/05/2011 à 20:55Derrière les portes et les façadesCommentaires (0)Ajouter un commentaire
Au coeur de Pigalle, dans ce 18ème arrondissement où fleurent (bon) les odeurs en tout genre, entre les sex shop, peep show et autres bars à hôtesses se cache un lieu un peu secret... L'endroit qui fait l'objet de ce billet dénote totalement du cadre dans lequel il est situé : au n°58 du boulevard de Clichy, entre un cinéma X et une échoppe de souvenirs pour touristes en quête de pittoresque et qui, invariablement, visiteront le quartier à bord du "petit train" montmartrois se dresse une demeure qui aurait pu être le cadre d'un roman de Proust ou d'Alexandre Dumas. Je souhaitais en effet m'arrêter ce soir sur cette façade qui m'a récemment interpellée, de par son individualité dans ce quartier parisien et qui, à sa façon, relate une page de l’histoire de Paris, celle de la Commune de Paris, dont on fête cette année le 140ème anniversaire ce printemps.
L'accès privé et les hautes grilles en fer forgé qui séparent la rue de la cour intérieure, le monde extérieur du monde feutré et intime de cette grande maison, semblent protéger ce lieu qui parait hors du temps, comme coupé de la vie parisienne tumultueuse et parfois violente de ce XXIème siècle...
Construit dans le "Modern style" en 1896 le baîtment de par sa physionomie annonce l'Art nouveau. Son entrée principale se situe sur le boulevard de Clichy mais une seconde entrée, un peu plus discrète, se trouve à la hauteur du 22 rue Lepic. Bâtie sur un vaste enclos abritant autrefois pavillons, jardins et une folie au XVIIIème siècle, la "villa des platanes" comme l'indique le cartouhe qui orne le dessus de l'entrée, porte ce nom bucolique et un tantinet romantique non pas que la cour intérieur soit plantée par ces arbres mais peut être en référence à cette allée qui jalonne le pas du promeneur au centre du boulevard de Clichy, organisant à elle seule la circulation de cet axe très fréquenté.
Le n°58 garde jalousement fermées ses grilles et rien ne filtre à travers les quelques percées de lumière qui arrive de la cour, illuminant la façade que l’on devine au loin....On distingue à peine les sculptures et les décors qui ont fait de cette adresse une lieu de vie agréable et de plaisirs. Le superbe escalier en spirale à double volutes évoque à lui seul le train de vie des anciens propriétaires et les deux statues porte flambeaux ont probablement accueillis bon nombre d'invités lors de dîners et fêtes prestigieux... Mais cette adresse n'est pas qu'un endroit reflétant grande vie et prospérité : après le porche sombre où la fraîcheur transpire en plein été, dans la cour, se trouvent trois bas reliefs de bois sculpté évoquant les évènements de la Commune et notamment ceux de la semaine sanglante (du 22 au 28 mai 1871) qui se déroulèrent non loin de là, sur la butte Montmartre et dont voici en quelques lignes l'essentiel des faits...
Le 23 mai 1871, après la prise des Batignolles et de la place de Clichy, Montmartre est attaqué sur trois points à la fois au nord par Saint-Ouen, car les Prussiens ont laissé le passage des Versaillais dans la zone neutre, au centre par le cimetière de Montmartre (où Louise Michel s’est bien battue), et au sud par les boulevards extérieurs.
Les soldats de ligne grimpent aux buttes par les pentes qui y conduisent Rue Lepic, la résistance est très vive à la barricade qui défend la place Blanche. Un groupe de femmes, animé par Elisabeth Dmitrieff et Nathalie Le Mel, se joint aux fédérés. Après avoir subi de nombreuses pertes, les combattants se replient sur la place Pigalle.
Après la prise de Montmartre, on tua partout : "Autant de rues comptait la butte, autant on peut compter de tueries", dira Camille Pelletan, dans La Semaine sanglante : tuerie rue des Abbesses, au coin de la rue Germain-Pilon, tuerie rue Lepic, au coin de la rue Tholozé ; le long de la maison portant le numéro 48, vingt corps restent alignés sur le trottoir, tuerie place de la Mairie. Les fédérés qui se trouvaient là sont percés à coups de baïonnette, tuerie rue des Poissonniers, tuerie au Moulin de la Galette. Les Gardes nationaux y sont surpris, cernés, désarmés. On en exécute quelques-uns sur place ; les autres sont emmenés au sommet de la butte, versant nord, sur l’emplacement d’une batterie destinée, pendant le siège, à combattre les batteries prussiennes de Stains, et y sont fusillés, tuerie au Château Rouge. On portait les cadavres dans la cour d’une école voisine où l’on avait installé une morgue, tuerie dans un petit enclos, rue des Carrières (rue Eugène-Carrière). On avait pris dans la même rue treize des défenseurs de la barricade, dont deux blessés. On les fusilla tous".
Plusieurs de ces massacres ont eu lieu dans le quadrilatère formé par le boulevard de Clichy, la rue Lepic, la rue des Abbesses et la rue Germain-Pilon. Le centre en était la Villa des Platanes. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’un artiste inconnu, peut-être témoin oculaire de la barbarie versaillaise, ait voulu laisser une trace de ces tragiques événements (source : L'actualité de la Commune).
Ainsi, outre le fait d'évoquer une vie protégée, sûre et lumineuse d'un bonheur sans ombre, ce lieu se fait aussi le messager et le dépositaire d'une histoire qui est tout simplement la nôtre. Mais comme l'accès de cette cour est strictement privé, je n'ai pu me contenter de la photograhier que depuis la grille de l'entrée... Ce qui n'est preque pas un mal, ainsi la Villa des platanes garde ses secrets....
- Le 28/04/2011 à 20:46Derrière les portes et les façadesCommentaires (1)Ajouter un commentaire
C'est sous les conseils appuyés d'une certaine Mamounette que je rédige ces quelques lignes sur un haut lieu parisien...(bientôt je je ferai des articles à la demande...). L'idée m'ayant plu, je suis allée chercher un peu d'ombre en ces journées parisiennes si ensoleillées que nous avons connu à Pâques, sur la petite place Emile Goudeau. Ce nom ne vous dit sans doute rien mais pourtant sur la butte Montmartre, là où elle se niche, elle est bien connue...
Sous les marronniers en fleurs et généreux d'une ombre rafraîchissante, se trouvent quelques bancs et une fontaine Wallace dont le vert caractéristique s'harmonise aux feuillages, tendis que le bruit de l'eau qui coule entre les cariatides fait écho aux bruissements des feuilles...
Le promeneur apprécie la pause au cours de cette promenade dans ce 18ème arrondissement fait de montées, de descentes, d'escaliers, de tours et de détours....Sur la placette en pente douce aux pavés déformés, une façade un peu dans le recoin près d'un lampadaire attire le regard. Il faut dire que c'est quasiment la seule boutique, de surcroît un peu ancienne, de cet endroit. Et ce n'est pas un hasard, car il ne s'agit pas de n'importe quelle échoppe...et le terme d'échoppe ne conviendrait d’ailleurs peut être pas vraiment, car au début du XXème siècle où elle était foisonnante d’activité, il ne s'agissait pas d'une boutique mais d'un atelier, et même d'un drôle d'atelier.....
Peut-être aurez vous deviné que je veux ici évoquer le "Bateau-Lavoir", "refuge" où se réunissaient artistes mais également gens de lettres (comme Max Jacob ou Guillaume Apollinaire), une pépinière (pour ne pas employer le terme de "ruche" qui fera l'objet d'un prochain billet...) qui a participé au nouveau souffle de l'art pictural à la fin du XIXème siècle ouvrant ainsi de nouveaux chemins artistiques au siècle naissant. Un lieu qui marquera l'histoire de l'art moderne par son intense activité créatrice.
Situé au n°13 de la place, remplaçant une ancienne manufacture de pianos fermée en 1860 pour cause d’affaissement de terrain (c'est presque le bateau ivre....), le bâtiment n'est guère visible de l'extérieur...Constitué d'un amas hétéroclite de poutres, de planches et de verrières le rendant si vulnérable aux risques d'incendie qu'aucune compagnie n’acceptera jamais de l'assurer, il est divisé en petits logements d'une seule pièce répartis de chaque côté d'un long couloir rappelant ainsi les coursives d'un paquebot. Le fait qu'il ne comporte qu'un seul point d'eau aurait, dit on, inspiré ce nom de "bateau-lavoir". Le confort, plus que rudimentaire impose un style de vie spartiate, toutefois, ce manque d'aise ne gêne pas les peintres qui vont faire de cette petite cité sur les hauteurs de Paris, un quartier général où il fait bon vivre et échanger. Comme le souligne d'ailleurs Picasso déclamant : "Nous retournerons tous au bateau-lavoir, nous n'aurons vraiment été heureux que là"...
Maufra est le premier à s'y installer en 1892, au peintre breton va suivre le fauve Gauguin, puis Picasso qui va y faire naître le cubisme (c'est là qu'il dévoile notamment ses fameuse "Demoiselles d'Avignon" en 1907) aux côtés de Juan Gris, de Brancusi de Modigliani, de Mac. Mais d'autres sensibilités artistiques comme Van Dongen, Matisse et le Douanier Rousseau y passeront également. Ce lieu voit aussi naître la romance entre Picasso et Fernande Olivier qui restera sa compagne jusqu'en 1912. Mais le tumulte de la première guerre mondiale va changer l'atmosphère, lui retirant ainsi un peu de son animation, il perdra ensuite de son attrait au profit d'un autre foyer artistique, sur la rive gauche cette fois ...dont je reparlerai bientôt...
Le Bateau-Lavoir fait l'objet d'un classement au titre de monument historique, malheureusement un incendie ravage en mai 1970 une partie du bâtiment qui sera reconstruite à l'identique en 1978.
Ce lieu de rencontre et de vie où l'on s’échangeait les pinceaux comme les modèles, mais aussiles idées les inspirations et les conseils, semble aujourd'hui comme endormi dans ses souvenirs, n'offrant qu'au regard du passant un peu averti du XXIème siècle cette façade propre et nette et ce "n°13" impeccable.
Si sa présence est discrète dans le décor et la vie fourmillante de ce 18ème arrondissement fait de bohème parisienne, la Bateau Lavoir reste un lieu unique, faisant ainsi la petite attraction des touristes américains (mais pas seulement...), sur la place Emile Goudeau, et perpétue encore aujourd'hui ce pourquoi il était destiné il y a plus d'un isècle : la création et l'échange puisqu'il est actuellement occupé par des artistes étrangers.
- Le 09/04/2011 à 22:03Derrière les portes et les façadesCommentaires (0)Ajouter un commentaire
"Folie Richelieu", "Tivoli", "Palace Théâtre", tels sont les noms qui ont été successivement donnés au Casino de Paris, car c'est de cet établissement qu'il va être question ce soir...et pour fêter ce 200 ème billet (et oui, déjà..), vous aurez, cher lecteur, deux articles pour le prix d'un....
Lieu de spectacles, de plaisir et de divertissement, le Casino de Paris, qui prit le patronyme qu'on lui connait aujourd'hui en 1891, passa entre différentes mains, changeant ainsi successivement d'identité, mais fut toujours un lieu d'amusement pour les parisiens,
En 1730 lorsque le duc de Richelieu décide de se faire construire une salle de spectacle, cet emplacement est
encore situé en rase campagne, dans les faubourgs de la capitale. En 1811, après les déboires révolutionnaires, elle est transformée en parc d'attraction juste avant que la construction de l'Eglise de la Trinité à quelques dizaines de mètre de là nécessite sa démolition, l'emplacement fut ensuite dédiée à une patinoire, à la fin du XIXème siècle. C'est en 1911 que l'établissement devient une salle de cinéma et de music hall, et c'est d'ailleurs dans cette salle que se produisit le premier spectacle de music hall avec des danseuses nues. La première guerre mondiale et les bombardements, oblige une fermeture momentanée pour ensuite faire connaitre le succès à de nombreux artistes, et le plaisir aux parisiens.
Il m'évoque aujourdhui comme un gros bateau à aube, tout en rondeur et en vagues, le teint clair...les lignes sinueuses et pures qui se découpent dans le ciel renforcent encore un peu plus cette impression. Les décorations de fleurs en mosaïques pastels renvoient directement au registre de l'art Nouveau, avec les fleurs, les entrelacs, et surtout ce grand vitrail représentant une scène festive. A l'intérieur, les lumignons courant en frise sur juste en dessous du plafond, rappelle les courbes de la façade extérieure et rappelle le mouvement des vagues.
Les lettres d'or se détachant sur le mur ivoire, évoquent à elles seules les passages des nombreux artistes, et autres "stars" qui ont foulé ces planches....et les premières personnalités du monde du spectacle se sont en effet retrouvées sur cette scène, il faut notamment citer Mistinguett, Maurcie Chevalier, Joséphine Baker, Zizi Jeanmmaire, le chorégraphe Rolan Petit....mais aussi des chanteurs tels que Serge Gainsbourg, Guy Béart, Jean Ferrat et beaucoup d'autres...mais la personnalité qui reste la plus attachée à ce lieu est certainement Line Renaud qui y fit ses débuts dans les années 1950 et dont l'époux Loulou Gasté permit à l'établissement de ne pas fermer en 1976. Elle y fut meneuse de revue jusqu'en 1979...
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- Le 02/04/2011 à 21:02Derrière les portes et les façadesCommentaires (0)Ajouter un commentaire
Bien avant que le commerce ne se fasse sur le net, les parisiens faisaient (ou faisaient faire) leurs emplettes dans les épiceries et autres petites échoppes, situées dans les ruelles, sur les trottoirs des faubourgs ou encore sous les passages couverts du coeur de Paris....Haussmann a véritablement bouleversé la donne en modifiant le profil urbain de la capitale. Ses travaux de développement et de modernisation ont permis, outre un assainissement, mais aussi une toute autre façon de vivre dans Paris et de consommer.
C'est dans ce contexte des grands travaux de la moitié du XIXème siècle que sont apparus les magasins dits "de nouveautés", visant à proposer à la clientèle féminine tous les accessoires indispensables à la vie de la parisienne (draperie, soierie, mercerie, bonneterie, dentelles, fleurs… et premiers articles confectionnés). Un concept moderne qui se concrétisera par l'édification des grands magasins. Une idées novatrice qui inspire en 1844 le jeune Félix Potin, alors âgé de 24 ans, tombé dans la marmite du commerce dès son plus jeune âge et qui va révolutionner les méthodes commerciales en ce XIXème siècle placé sous les auspices de la modernité, de l’industrialisation. C'est à cette époque que le jeune homme ouvre sa première boutique où les prix sont pour la première fois fixes et affichés.
L'entreprise du jeune homme (qui pourrait être un filleul du dieu Mercure) connait un vif succès notamment auprès de la clientèle féminine, un second magasin est alors ouvert rue du Rocher, non loin de la Gare St Lazare, quartier bouillonnant d'activité et d'animation, mais c'est dans le "ventre de Paris", au confluent des Halles et de la gare de l'Est, qu'il va encrer son activité en érigeant tel un temple dédié au commerce, un magasin qui sera presque autant fréquenté pour son contenu que pour son contenant....il faut dire qu'en 1860 date à laquelle la boutique faisant l'angle du boulevard de Sébastopol et de la rue Réaumur est ouverte, les architectes et les sculpteurs s'accordent aux ambitions des grands hommes....sur laquelle se calque notre entrepreneur ambitieux mais néanmoins très avisé....
L'opulente rotondité, qui grimpe sur plusieurs étages, marque généreusement la réussite de son propriétaire et invite à visite une tranquille ente le différents étalages....ceints par une vitrine longue de 22 mètres. Tout dans la réalisation de cet immeuble marque sa vocation commerciale mais aussi, avec presque une certaine suffisance, la prospérité de l'entreprise. Un fait appuyé puisqu'une seconde boutique, du même acabit viendra également s'installer quelques temps plus tard, boulevard Malesherbes, voie Haussmanienne par excellence, traversant le cossu et nouveau huitième arrondissement.
Les étages, la rotonde, mais aussi les décorations témoignent d'un désir de satisfaire des clients toujours plus exigeants, mais aussi de plus en plus fortunés....en ce XIXème siècle qui voit naître la nouvelle noblesse et la bourgeoisie...
Ainsi, les vasques, les guirlandes de fleurs en cascade, les coquilles agrémentent les emplettes et annoncent un établissement de qualité....Des décorations que vient couronner le clocheton posé au sommet de la rotonde, que l'on ne tardera pas à appeler "la poivrière"...telle une bonne étoile, elle distingue parmi les autres immeubles du quartier ce magasin où l'on trouve toutes les denrées alimentaires nécessaires, devenant ainsi l'épicerie la plus connue et la plus courue sur la place du Paris sous Napoléon III. Le nom de l’entrepreneur, gravé dans la pierre au dessus de l'entrée de ses magasins, s'impose comme une signature de cette réussite ainsi affichée....
Une réussite qui fera sans doute des envieux puisque lorsque les vivres viennent à manquer en 1870 dans Paris, certains entrefilets accusent notre homme d'affaires d'être accapareur....toutefois, il s'avère que l'épicier prospère s'est montré généreux pendant le siège de la capitale. Félix Potin marquera définitivement le commerce français et son développement, en ouvrant ses propres usines, limitant ainsi les intermédiaires. De la fabrication à la livraison, il règne sur la chaîne, et ce dans un contexte d'entreprise familiale, au contraire d'autres établissements comme le Bon Marché, la Samaritaine, entre autres,
Cette "ruche" commerciale où se mélangeaient parfums, couleurs et matières devant les clientes parisiennes de ce XIXème siècle embourgeoisé me fait penser à une bonbonnière au couvercle ouvragé...une sucrerie architecturale que seul l’éclectisme du second Empire pouvait nous donner...
- Le 26/03/2011 à 20:27Derrière les portes et les façadesCommentaires (2)Ajouter un commentaire
Une petite dédicace ce soir à Désiré...en ce 26 mars qui est jour un peu particulier pour lui et évoquer une façade qui reste associée à ses souvenirs d'étudiant. Fantasme gastronomique et parisien pour moi, adresse bien plus connue pour lui, le Grand Colbert (puisque c'est de cette petite institution du second arrondissement dont il s'agit) est situé à deux pas de la Galerie Vivienne, passage couvert évoqué dernièrement....et qu'annonce une grande devanture comme on en trouve encore dans certaines rues et quartiers de la capitale, renvoyant au début du XXème siècle et parfois même avant...
L'histoire de ce bâtiment commence en 1637 alors qu'il n'était encore qu'un hôtel particulier parisien parmi d'autres. Il connait différents propriétaires dont Jean-Baptiste Colbert dont il héritera du nom, passe plusieurs fois de mains, puis finit par être vendu en 1826. Détruit pour faire place au bâtiment actuel et à la Galerie Colbert qui le jouxte et concurrente de la Galerie Vivienne, il ne s'agit toutefois pas encore d'une brasserie mais d'un magasin de "nouveautés", Transformé en 1900 il devient alors un restaurant et c'est donc l'esprit de l'Art Nouveau qui flotte dans l'air ambiant à cette époque qu'on donne à sa décoration intérieure....
Avec sa hauteur de plafond de 6 mètres de haut et un beau volume architectural, la salle principale et les splendides mosaïques qui tapissent le sol, l'intérieur en impose tout de même un peu, et même s'il ne s'agit pas d'une adresse les plus huppées puisque y a encore quelques années le grand Colbert faisait partie des "bouillons" parisiens bon marché, l'ambiance "amidonnée" laisse le client "sur ses pattes de derrière" (expression chère à ma grand-mère, comprenez par là que celui qui viendra déguster un plateau de fruits de mer ou une tasse de chocolat chaud, spécialité de la maison, ne mettra pas forcément sa serviette dans son cou...).
L’ensemble mobilier reflète parfaitement l'univers des bouillons alors très en vogue à l'aube du XXème siècle : lampadaires aux boules opaque laissant filtrer une douce lumière, les palmiers faisant écho au vert des banquettes capitonnées et les chaises cannées à la Thonet plongent le visiteur dans une ambiance simple mais néanmoins bourgeoise puisqu'on demande à la clientèle d'y venir avec une tenue "chic décontractée". D'ailleurs ce décor me donne envie de fermer les yeux et d’imaginer un dîner il y a quelques cent ans à une époque où les femmes avaient de grands chapeaux à plumes, des colliers de perles coulant jusqu'au nombril, souriant à des hommes en r edingote, chapeaux haut de forme et petite moustache soignée......mais cette époque est bel et bien révolue ! A l’extérieur, les boiseries lie de vin et l'enseigne au néon, éclairant en permanence non seulement la façade mais aussi une partie de la rue, se voient de loin....
En 1985, sous l’impulsion de la Bibliothèque Nationale les intérieurs sont restaurés, notamment les décor muraux à l'inspiration antique rallumant ainsi le néon (comme on redore un blason), de ce lieu, le classant parmi l'une des plus grandes brasseries parisiennes. Pour la petite histoire, le Grand Colbert a été le cadre du film américain "Tout peut arriver" (Something's gotta give) avec Diane Keaton et Jack Nicholson....
Alors sans forcément attendre que Désiré se donne un peu de mal pour m’emmener dans ce restaurant dont j'aimerais connaitre un peu plus que le menu plaqué derrière une petite vitre ou sur la façade extérieure, et en pensant effectivement que "tout peut arriver", je vais sans doute finir par passer la porte seule, ou accompagnée d'un autre cavalier....
- Le 19/03/2011 à 20:37Derrière les portes et les façadesCommentaires (0)Ajouter un commentaire
Le second arrondissement n'est pas qu'un quartier rempli de petits ateliers de confections dont on entend parfois le ronronnement des machines à coudre le dimanche... Pendant plus d'un siècle, ce quartier entre les rues de Richelieu, St Marc, Montmartre et Réaumur fut le royaume de la presse. Rue de Richelieu siégeait
"le Temps",
"Le Journal", "L'Humanité", "L'intransigeant" passa de la rue du Croissant à la rue Réaumur qui abrita aussi
"Paris soir" puis
"France soir", En face au 111 et 113, de la rue Réaumur se tenaient
"la République" et
"la Liberté". rue St Marc logeait
"le National". Le quotidien
"La France" fut installée au 123 puis, au 144, rue Montmartre. Plus récemment la rue du Louvre hébergeait il y a encore quelques années les locaux du Figaro....mais je voudrais aujourd'hui remonter un peu le temps et évoquer dans ce billet, la petite histoire du 144 de la rue Montmartre que j'évoquais à l'instant...où
"La France" mais aussi
"l'Aurore" y ont relaté petites et grandes
"unes" dont l'une d'elles justement resta célèbre...mais j'en reparlerai d'ici quelques lignes...arrêtons nous donc tout d'abord sur cette façade..qui ne passe pas vraiment inaperçue....
Réalisée dans la tradition du second empire et de la IIIème république, d'une blancheur éclatante, elle présente notamment au faite à l'angle de la rue du Croissant et de la rue Montmartre un bas relief représentant un enfant présentant une édition du journal "La France" témoignage du passage de ce quotidien dans les bâtiments. Mais c'est le nom du journal lui même, figurant sur la façade qui est le plus manifeste. L’inscription est encadrée par deux cariatides prenant les traits de muses, tenant, pour l'une une plume, pour l'autre un objet (plus ou moins bien identifié.....) qui peut-être symbolise l'inspiration journalistique ....un hommage aux lettres, à la culture et à la lumière que sont censé donner au peuple les "esprits éclairés" (?)
Aux côtés de ces dames, fléchissent deux atlantes qui semblent presque effrayés par le poids du Journal... Est ce le côté dramatique des actualités qu'ils voient sortir de ce bâtiment dont ils symbolisent l'entrée qui leur donne ce rictus (?)....si les deux hommes jettent un oeil par dessus leur épaule comme submergés et dépassé par la tâche qui leur a été confiée, les muses, elles semblent regarder le passant d'un air goguenard, amusé, détaché...du haut de leur piédestal...
"La France" donc, mais aussi
"l'Aurore".... quotidien aujourd'hui plus connu pour avoir joué un rôle dans
l'histoire de la fin de notre tumultueuse IIIème République...C'est en effet précisément l'exemplaire du 12 janvier 1898 qui restera à jamais gravé, non pas dans la pierre mais dans les livres d'histoire des collégiens...car, c'est bien dans cet immeuble qu'à l'aube du nouveau siècle va se dénouer une des pages de l'histoire de France. C'est ici au 144, rue Montmartre que remit Emile Zola à Georges Clémenceau, alors rédacteur en chef pour le quotidien, sa lettre pour le président de la République Félix Faure démontrant l'innocence d'Alfred Dreyfus et proclamant
"la vérité est en marche et rien ne l'arrêtera". Le célèbre réquisitoire de l'écrivain défendant celui qu'on voulait voir banni de la société paru le le lendemain sous le titre historique
"J'accuse", un titre choc qui permit d'innocenter celui qu'on accusait à tort d'espionnage et de trahison. Certte affaire qui divisa la France en deux parties pendant des années amena une succession de crises politiques et sociales uniques en France. C'est par cet épisode que la presse commença à prendre une part importante dans la vie politique et sociale. Alors même si le quotidien de la IIIème République a maintenant fait place au rez de chaussée à un magasin hard discount...ces quelques témoignages qui nous restent nous permettent de ne pas oublier cet épisode trouble au relent antisémite.
- Le 10/03/2011 à 20:36Derrière les portes et les façadesCommentaires (1)Ajouter un commentaire
Quai aux fleurs (4ème arrondissement), une façade retient l'attention du promeneur....sur ce quai où règne le calme et la quiétude flotte un air serein, et une douce tranquillité. Les murs des hôtels particuliers nous font remonter le temps, à travers une sculpture, une plaque commémorative ou une porte. C'est dans ce coin du Paris médiéval qu'aujourd’hui je m'arrête devant les n°9 et 11, qui furent, un temps, il y a bien longtemps maintenant, le refuge des amours passionnés d'Abélard et Héloïse, figures emblématique de notre Moyen-Age. Si cette adresse tient plus de la légende que de l'exacte vérité, c'est avec d'autres coins de Paris qui portent aussi l’empreinte de cette histoire, qu'elle fixe dans l'espace comme dans nos mémoire et notre imaginaire ces deux personnages aux destins aussi tragiques que romanesques. Amour non pas impossible mais du moins scandaleux et répressible, dans cette société un XIIème siècle marqué par la doctrine et la théologie.
Les bâtiments, en question ce soir, ne datent pas de l'époque où colombages, encorbellement et corbeaux en pierre (non pas les zosiaux noirs mais la pièce architecturale, élément de construction), fleurissaient dans les rues de Paris, mais simplement de 1849. Il est indiqué sur la plaque qui joint les murs des deux numéros qu'ils ont été édifiés sur l'ancienne maison du couple, datant elle de 1118. Sans doute que la résurgence du Moyen Age dans cette première moitié du XIXème siècle (appuyée par le contexte politique de la Restauration), a quelque peu influencé ce regain d'intérêt pour l'histoire de ce couple, qui a d'ailleurs laissé sa trace ailleurs que sur le Quai aux Fleurs : en témoignent quelques clins d'oeil vus notamment à la Conciergerie, au cimetière du Père Lachaise (où reposent les deux amants depuis 1817), dans la cour Napoléon du Louvre, la rue Notre Dame de Lorette, la Sorbonne et le Petit Palais, et sur des façades d'immeubles.
Mais que présentent ces murs de si particulier ? Peu de choses en réalité, outre la plaque gravée qui indique le passage du couple vers 1118, ce sont des ornements élaborés au XIXème siècle qui renvoient directement à l'imagerie moyen-âgeuse qui attire le regard du passant : les masques du philosophe et de sa compagne, au dessus de chacune des entrées d'immeubles, ainsi que les petits mascarons plaqués au centre des portes, la tête tournée l'une vers l'autre, des clichés directement issus du style Troubadour qui fait alors fureur dans les arts décoratifs. C'est presque plus l’émotion que cet emplacement peut susciter dans nos esprits d’aujourd’hui qui rend cette adresse notable. C'est la juxtaposition entre le Paris (et la société au sens plus large) sous Louis VI, et le reflet de Notre Dame dans la Seine coulant paisiblement devant cette maison, et celui que nous connaissons en ce XXIème siècle parfois bien tourmenté, qui rend l’histoire de ce lieu émouvante.
Ensuite, que dire de plus, que certainement le romanesque et le tragique ont pérennisé ces deux personnages dans notre histoire et notre mémoire collective, comme dans l'histoire de la capitale. Il faut bien rappeler que le parcours des amants se passe essentiellement dans Paris, où officie sur la montagne Sainte Geneviève et avec une maitrise non démentie, le philosophe et théologien Abélard, intellectuel surdoué, dialecticien redoutable pour ses adversaires et maitre admiré par ses élèves. Outre le fait de marquer ses auditeurs, il marque également son siècle dans le domaine de la logique, et de l'analyse du langage. Sa vie sera une succession d'épisodes plus ou moins mouvementés (entre la Bretagne, la Champagne et la capitale). Sur le plan intellectuel s'il marque son temps, il ne marque pas non plus vraiment la postérité. C'est son destin tragique lié à celui d'Héloïse qui le fait rentrer dans les livres d'histoire. L'amour entre un homme de foi, de raison et d'esprit et admiré de tous, pour son élève, jeune fille de rang, promise à un destin autre que celui que la passion clandestine lui fera finalement embrasser.
Alors qu'est ce qui fascine donc chez ce couple hors du commun ? Son histoire a traversé les époques et a inspiré les auteurs en tout genre probablement du fait du paradoxe entre l'amour passion et la raison : Héloïse et Abélard illustrent avant l'heure ce que Pascal écrira quelque siècles plus tard : "le coeur a ses raisons que la raison ne connait pas" : le statut d'homme d'esprit et d'Eglise que revêt Abélard lui interdisant le mariage, le drame de cette relation soumise aux lois de la société hératique et morale du Moyen-Age s'oppose, de fait, à la passion amoureuse et passionnément charnelle. Le drame de "l'amour écorché", car honni, de la castration peu après un mariage clandestin et une descendance illégitime étonne encore et toujours et émeut. L'amour passionnel bafoué et la déchirure physique infligée sont transcendés par l'amour profond, durable, intellectuel, pieux, vécu dans une fidélité sans faille malgré l'éloignement et l’engagement des deux époux dans la religion.
Les numéros 9 et 11 du Quai aux Fleurs rappellent ainsi au passant que les turpitudes du coeur et les aléas de la vie ne sont pas le fait du XXIème siècle moderne mais, ont de tout temps marqué la condition humaine de notre civilisation.
- Le 01/03/2011 à 20:35Derrière les portes et les façadesCommentaires (0)Ajouter un commentaire
J'aurais également pu intituler ce billet "Les mille et une vie de la Maison dorée", tant cette adresse aujourd'hui noyée dans la fébrilité parisienne a connu d'heures lumineuses pour ne pas dire scintillantes....
Elle en a connu des histoires cette « Maison Dorée », des idées sont nées sous les ors des médaillons, des destins se sont enlacés et noués sous ses plafonds sculptés, elle a fait beaucoup parler d'elle, a été le cadre de bien des festivités, un lieu huppé et recherché, réputé, un phare dans la capitale, à une époque où la Tour Eiffel n'avait pas encore revêtu son propre habit de lumière puisqu'elle n'existait pas encore, même pas sur des plans…
Son histoire commence durant le Directoire, sous l’impulsion de Mme Tallien, LA « Merveilleuse » de Paris qui fait déjà des salons de son hôtel Choiseul-Stainville un lieu de rencontre très prisé par les têtes révolutionnaires un peu échauffées. Après le passage de la belle, l'hôtel est démoli pour faire place au « Café Hardy », table déjà très réputée sous l'Empire et dont on disait qu’elle était la plus chère de Paris. C'est alors le lieu de rendez vous des agents de change et des clients huppés tels que le général Rostopchine ou le général Gérard.
Mais les bouleversements et les grands travaux ont lieu vers 1839, quand le bâtiment change de main. Toujours sous les auspices de la gastronomie, le restaurant perdure dans la tradition de la bonne table française, courue et fort bien fréquentée. Repris en main par son propriétaire Louis Verdier, c'est à cette date (ou presque) que les travaux d'embellissement et de décoration vont être spectaculaires. Louis Verdier baptise son établissement "le restaurant de la cité", mais comme le rapporte Balzac, "le public qui ne l'entendit pas de cette oreille, devant les dorures, les balustrades et les balcons rutilants, l'appela (communément) "La Maison dorée", nom qui s’imposa par la suite". L'opinion publique faisant écho à la remarque de Gérard de Nerval qui qualifie pour sa part cette bâtisse de "maison d'or décorée de pierre"....
Il faut dire que les travaux sont si importants que le résultat est pour le moins clinquant...l'architecte Victor Lemaire voyant les choses en grand : balcons dorés, encadrements des baies du même éclat auxquels s'ajoutent des médaillons et des frises sculptées par les frères Lechesne, où parmi les branches et les rinceaux, courent des cerfs et des sangliers. Ceci pour l’extérieur ; les décorations intérieures réservant encore au client fortuné de belles surprises avec peintures, glaces, ors et l’ameublement qui éblouissent à eux seuls le regard, boiseries sculptées et plafonds ciselés venant parfaire l'attraction que représentent déjà en soi la façade extérieure.
Lieu de rencontre pour tous, pour les fortunés comme pour les modestes; les intellectuels, les grands noms mais aussi la petite bourgeoisie, la Maison Dorée règne sur le Paris du XIXème siècle, l'illuminant de son faste, de sa réputation de son animation, à l'époque où l'urbanisme se développe mais où la capitale reste encore à taille suffisamment humaine pour qu’une adresse comme celle que je décris conserve une véritable influence sur les autres.
Un grand restaurant donc qui a ses habitués, que l'on reçoit, à l’inverse du « tout venant », à l'abri des curieux dans des cabinets privés dont l'entrée se trouve rue Laffitte sous le fronton au nom avenant « Cité des italiens ». Il suffit de voir l'importance donnée à cette entrée pour comprendre que le lieu de rendez-vous a été sans doute un haut lieu de rencontres en tout genre, de festivités et d'échanges en société, une adresse pour ceux que l'on appellerait aujourd’hui noceurs et fêtards.....Se retrouvent ainsi dans ces salons, et guidés par ceux que j'appelle "les anges de la cité", Edouard VII, Lord Sémour, le Baron de Saint Cricq et tout ce que Paris peut compter à cette époque de princes, comtes, marquis et autres excentriques fortunés, prêts à alléger leur portefeuille pour pouvoir goûter aux fastueux diners arrosés de bouteilles tirées de la cave somptueuse qui n'en compte alors pas moins de 80 000...
Ce lieu de rendez-vous voit aussi se croiser des hommes de lettres et des intellectuels : Emile Zola y fêtera le succès de "l'Assommoir", Balzac y laissera quelques lignes appuyées, y créant son Lucien de Rubempré, et Proust y consacrera l’amour de Swann pour Odette... Flaubert et les frères Goncourt y firent également de nombreuses viites. Les frères Verdier, propriétaires des lieux, réussissent ainsi à faire de cet endroit, le centre de la vie culturelle, et politique de la capitale, le coeur, l'esprit et l'estomac du boulevard, c'est à dire de Paris. Les grands boulevards étant en effet en ce XIXème siècle bruissant de bouleversements, le symbole de la capitale.
Mais la vie de cette maison est loin de s’achever au bas d’un menu ou à l’épilogue d’un roman...Après les nourritures du corps et de l’esprit, voici l'édition...Dans le même "pâté de maison" (on reste dans la grande bouffe) aux côtés du restaurant, d'autres nourritures intellectuelles se créent : ainsi "L’évènement", « Paris", "Les mousquetaires" (fondé par Alexandre Dumas en 1853),"La presse" voient ainsi le jour entre 1850 et la fin du XIXème siècle, période où les bureaux de "la Revue Blanche" prennent également leurs quartiers dans les locaux du boulevard des italiens.
Et après les quotidiens, la peinture… En effet, la "Maison dorée" voit aussi durant les dernières décennies du siècle, s'animer de couleurs et de poésie dans un nouvel élan de modernité, annonçant ainsi le siècle dont on semble déjà pressentir les bouleversements intellectuels et artistiques. C’est là que se tient pendant plusieurs années le salon des impressionnistes. En 1886 se tient notamment la dernière tentative des peintres que l'on étiquette alors comme "hors les clous" d'exposer leur œuvres…celles là même qui orneront plus tard les cimaises des grandes colletions et des musées... On retiendra notamment la participation de Mary Cassatt, Degas, Gauguin, Morisot Pissarro, Redon Seurat, Signac, ou encore Vignon.
Malgré la démolition générale des numéros pairs du boulevard des italiens, "La Maison dorée" reste debout mais ferme définitivement ses portes en 1902. L'immeuble va alors connaitre par la suite divers occupants, dont un bureau de poste qui imposera des travaux propres à l'activité de cette administration. Les dernières modifications auront lieu lors de l'installation des bureaux et de la salle de marchés de la BNP, dans les années 1974-1976, date à laquelle l’établissement bancaire prend ses quartiers dans ce lieu faisant désormais partie de l’histoire de la vie Parisienne. Restructuration qui fera intervenir l'architecte Pierre Dufau (que j'ai déjà évoqué dans un précédent article).
Ainsi "la Maison d'Or", comme on appelait cette adresse à l'époque balzacienne, a vu défiler hommes de lettres, hommes de goût, grands personnages et petites vertus, hommes d'art et hommes d'argent, des destinées bien différentes mais un même désir de profiter de la vie, de Paris et de tout ce que la capitale peut compter de plaisirs et d'intérêts. Les médaillons dorés, les cerfs et les sangliers, marquent un XIXème fait d'éclectisme ambiant, tant dans les arts décoratifs que dans les esprits et dans les relations entre les différents groupes de la société.
Ce qui m'a le plus intriguée dans ce bâtiment c'est l'entrée de la Cité des Italiens, amenant aux anciens cabinets privés...symbolisée par ces anges aux courbes avantageusement féminines et qui semblent indiquer le chemin à suivre pour vivre quelques instants d'un plaisir raffiné, en société. Aujourd'hui, elles ornent innocemment la façade des bureaux de la BNP, et s'il n'y a pas de fonds dans ces locaux, elles semblent vouloir dire : « les coffres, c'est par ici ».....
- Le 26/02/2011 à 20:36Derrière les portes et les façadesCommentaires (0)Ajouter un commentaire
La pluie tombe sur la capitale... alors pour ne pas laisser le billet du jour immaculé, je profite des gouttes de cette fin de semaine pour ouvrir une nouvelle catégorie d'articles à ce blog et lui dédier quelques lignes sur un sujet à caractère tant historique qu'artistique qui me tient particulièrement à coeur. Eléments architectural, expressions diverses et variées transmises au fil des siècles, ils ornent les dessus de portes, grimacent au dessus des bateaux mouches qui passent sous le Pont Neuf, sont plaqués sur les fontaines, les linteaux, les clefs de voûtes des églises, ou tout simplement sur les façades d'immeubles. Vous aurez sans doute deviné après cette petite énumération que je souhaite évoquer ce soir le cas des mascarons. Si Paris en compte une tripotée, des villes comme Bordeaux ou Lyon ne sont pas non plus en reste, sans parler de nos voisines italiennes à qui l'ont doit cette mode décorative.
Mais saviez que le rôle premier de ces figures était d'ordre superstiteux ? En effet, ces visages avaient à l'origine la fonction de chasser "le mauvais oeil", c'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils avaient la plupart du temps des traits hideux et effrayants. On peut sans dout avancer que le premier mascaron à proprement parler est le masque de la Méduse, l'une des trois gorgones de la mythologie grecque. Dans l'antiquité on trouvait ces figures (en polychromie), à l'extrémité des toits et que l'on appelait à juste titre "antéfixe".
Au Moyen Age ils sont souvent utilisés dans l'architecture religieuse, notamment pour clore les voûtes, ils sont alors représentés par des personnages et aussi, parfois, par des démons. Mais c'est la Renaissance qui va leur donner toute leur place sur de multiples bâtiments. Ce sont les fouilles archéologiques réalisées à cette époque qui vont donner une impulsion dans tous les domaines artistiques. L'Antiquité est redécouverte et la résurgence du répertoire artistique des civilisations anciennes est alors exploitée, amenant ainsi un enrichissement et un élargissement de l'éventail des figures et d'expressions, permettant aux sculpteurs de laisser libre court à leur imagination parfois débordante.
En France, c'est François Ier qui va développer l'utilisation de ces visages dans l’architecture civile et privée. Le château de Fontainebleau reste d’ailleurs à ce titre un exemple de qualité.
A partir de la fin du XVème siècle les architectes comme les sculpteurs vont chercher à faire la différence entre le mascaron, le "mascharone" italien, tête chargée de ridicule faite à fantaisie comme une grimace, proche de la bouffonnerie, (une caricature que l'académie royale d’architecture au XVIIème réserve à des ouvrages secondaires), et le masque, "maschera", tête d'homme ou de femme sculptée représentant des divinités, des saisons, des symboles....décorations qui sont alors de bon goût et apparaissant sur la façade d'un hôtel particulier ou d'un palais.
Toutefois, dans la pratique, masques et mascarons finiront par se fondre dans la fonction décorative des bâtiments et éléments architecturaux.
Ainsi se mêlent dans une même utilisation et fin décorative hommes et femmes, dieux et mortels, jeunes et vieux, beauté et laideur, sourires et grimaces, barbes et chevelures...
Voilà pour (la petite) l'histoire....maintenant que dire de plus ? Que ces visages que l'on croise à tous les coins de rues, (pour peu qu'on lève un peu la tête (oui la sienne, enfin, la vôtre..), sont aussi amusantes qu’intriguantes, à la fois mystérieuses et attrayantes...mais que réservent elles au visiteur qui pousse la porte et passe derrière les murs qu'ils ornent ?
Signe extérieur de richesse sur les hôtels particuliers, amusement sur les fontaines, attraction sur les bâtiments publics, ils ont tous le mérite d'apporter une note d'agrément à la promenade de celui qui les cherchent et qui croise leur regard...
Aux traits impassibles, ces portraits figés dans les expressions que l’artiste a choisi de leur donner, ne vieillissent pas au fil des époques qu'ils traversent et voient passer du haut de leur fronton, linteaux et dessus de porte. Ils ne comptent pas non plus le nombre de passants qui les ignorent .. mais ...depuis qu'on les a juché, ici en dessous d'un balcon, là pour orner une porte ou une fontaine, ils ont certainement entendu et vu défiler des vies, des petits drames aux grandes histoires, des festivités aux tragédies...Des regards affligés aux sourires grimaçants, de la beauté à la douceur et à la gaieté, tous les états d'âme de l'humanité se retrouvent dans ces visages de pierre à jamais figés...